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LA DANSE N’EST PAS CE QUE J’AIME.

CHAPITRE QUATRIÈME.

LA TRENTIÈME CONTREDANSE.


Aglaure, désenchantée, se dégoûtait de la danse à mesure qu’on cessait de l’admirer, et ses danseurs lui paraissaient moins aimables ; elle regrettait presque les méchants petits cousins, qui disaient des folies à mourir de rire.

Épuisée de fatigue, elle s’ennuyait et cherchait un prétexte pour se retirer, lorsqu’un ami de son père, un ancien colonel âgé de quarante-cinq ans environ, l’ayant aperçue, vint à elle et s’écria : — Te voilà, ma jolie petite Aglaure ; comme tu es grandie ! Je veux faire un extraordinaire en ta faveur, je veux absolument danser avec toi : voilà, ma foi, quinze ans que cela ne m’est arrivé. Allons, viens vite ! j’entends les violons, nous n’avons pas un moment à perdre.

Aglaure fut bien obligée de le suivre, mais elle n’était pas si pressée que lui d’arriver.

La pauvre enfant ne voulait pourtant pas désobliger le vieil ami de son père en refusant de danser avec lui ; il avait toujours été si affectueux pour elle, qu’elle l’aimait sincèrement ; aussi, quoiqu’elle fût déjà bien fatiguée, le désir de faire plaisir à un ami la soutint, comme la vanité l’avait fait naguère, et elle trouva encore cette fois le courage de danser.

Cependant cette contredanse fut un supplice ; car son vieux danseur, profitant de la familiarité permise à un ancien ami, ne laissait pas à Aglaure un moment de repos ; il ne lui faisait grâce d’aucune des figures, tant il était fier de se les rappeler. Il dansait de tout son cœur ; il avait mis ses gants verts pour faire le jeune homme, et il avait quitté ses lunettes bleues. Chaque fois qu’il s’agissait de balancer, au lieu d’un demi-tour de main, il en faisait douze ; et la pauvre Aglaure était si étourdie, qu’elle manqua de se trouver mal.

Son père, la voyant si abattue, eut pitié d’elle. — Il est bientôt une heure, ma fille, tu devrais t’aller coucher, lui dit-il ; je crains que tu ne sois un peu fatiguée.