Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
360
LA DANSE N’EST PAS CE QUE J’AIME.

réponse ; mais, à Paris, on danse trop vite, cela étouffe. Dans mon pays, on valse très-doucement, et cela est beaucoup moins fatigant, je vous assure. Je n’ai encore dansé ce soir que quatre contredanses… eh bien, je le confesse, je suis fatigué !

Ces paroles rappelaient à Aglaure combien elle-même devait être fatiguée, et elle commença à sentir que son courage l’abandonnait.

Le cinquième danseur était un grand jeune homme sec et triste, qui marchait en mesure plutôt qu’il ne dansait, qui semblait plutôt remplir un devoir que se livrer à un plaisir, et dont l’air résigné voulait dire : — Il faut bien faire danser la fille de la maison, j’ai été présenté ici comme danseur.

Cependant, il se crut obligé d’adresser quelques paroles de politesse à Aglaure.

— Vous aimez beaucoup la danse, mademoiselle ? lui demanda-t-il.

— Beaucoup, monsieur, répondit-elle en détournant la tête ; et le danseur ne chercha point à continuer la conversation.

Le sixième danseur était un Allemand, qui lui dit : — Ché fois que fous aime peaugoup à tanzer, matemoisselle ?

Le septième était un Italien, qui lui dit : — Danser vous plaît, signorina ?

Le huitième était un Anglais, qui lui dit aussi, mais très-vite : — Vous haime le danse ?

Et Aglaure se demanda pourquoi ses danseurs, français, allemand, italien, Anglais, lui disaient tous la même chose. C’est que, dans le monde, on n’a pas autre chose à dire à une petite fille de douze ans. On peut causer avec une jeune personne des livres qu’elle a lus, de l’opéra qu’elle a vu la veille, de musique, de peinture, des gens du monde qu’elle connaît ; mais à une petite fille, que dire ? Quand on ne connaît pas intimement sa poupée, on ne sait vraiment pas de quoi lui parler.