Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
359
LA DANSE N’EST PAS CE QUE J’AIME.

donnerait des jambes à un goutteux ; oui, je suis sûre que si l’on disait longtemps à un goutteux qu’il danse bien, il finirait par faire des entrechats. Ce que j’affirmerai, c’est qu’Aglaure serait allée se coucher de très-bonne heure ce jour-là si on ne l’avait pas admirée, car jamais elle n’avait ressenti tant de lassitude.

À mesure qu’on la regardait, elle s’animait, elle se redressait ; elle mettait les pieds tellement en dehors, qu’elle manquait de tomber à chaque instant.

— Vous aimez beaucoup la danse, mademoiselle ? lui dit son danseur.

— Oui, monsieur.

— Et vous avez raison, car vous dansez à merveille.

Alors elle mit les pieds encore plus en dehors, et chancela.

— Le parquet est fort glissant, reprit le danseur.

Puis, la contredanse finie, il la reconduisit à sa place.

Aussitôt un autre jeune homme vint la prier à danser ; puis un troisième, puis un quatrième, puis un cinquième, puis un sixième, etc., etc. Elle ne savait plus où donner de la tête : elle avait beau répondre : — Je suis engagée. — Ce sera pour la seconde, répliquait-on. Il n’y avait pas moyen d’en éviter un seul.

Six contredanses en perspective, quand elle en avait déjà dansé au moins douze, car elle dansait depuis midi ! cela paraissait un peu dur. Mais on la trouvait si jolie en dansant, il était impossible de refuser. La vanité ne fait pas grâce ; elle veut des succès ! des succès ! toujours des succès ! dussions-nous en mourir.

Les deux contredanses qui suivirent ne furent pas très-pénibles : Aglaure s’efforça moins de se tenir droite ; elle ne pensa pas tant à mettre les pieds en dehors, et elle en parut d’autant plus gracieuse.

La quatrième contredanse fut moins agréable : Aglaure avait pour danseur un petit jeune homme très-gros et très-rouge, qui était tout essoufflé, et qui se donnait de grands coups dans le nez avec son mouchoir pour se rafraîchir.

— Vous aimez beaucoup la danse mademoiselle ? dit-il d’une voix entrecoupée ; moi aussi, ajouta-t-il sans attendre de