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LA DANSE N’EST PAS CE QUE J’AIME.

voir tout à l’heure gambader, sautiller, dans le petit bal, ne pouvaient la reconnaître, maintenant qu’elle était si sérieuse, si triste, et qu’elle se tenait si droite.

Elle s’efforçait de prendre un air très-grave pour se vieillir ; ce qui faisait que plusieurs personnes, qui ne comprenaient rien à tout cela, lui trouvaient un air maussade et crurent qu’on l’avait grondée. Elle n’était pourtant pas de mauvaise humeur, bien au contraire ; jamais elle n’avait été plus contente d’elle-même et plus heureuse.

Ce fut bien autre chose encore lorsqu’un grand jeune homme habillé de noir, avec un gilet à la mode, un lorgnon et des gants blancs, vint la prier sérieusement à danser, lorsqu’il prononça, en s’inclinant avec respect, ces paroles consacrées : — Mademoiselle, voulez-vous me faire l’honneur de m’accorder la première contredanse ?

Aglaure fut si flattée qu’elle put à peine répondre : — Oui, monsieur, avec plaisir.

Avec plaisir ! cela était bien sincère, en vérité. Aglaure allait enfin danser sérieusement, et avec un vrai danseur, un jeune homme qui avait des gants ! un cavalier qui lui disait : — Mademoiselle, voulez-vous me faire l’honneur de m’accorder la prochaine contredanse ? — et non plus avec un méchant petit gamin qui lui criait, d’un bout du salon à l’autre : — Ma cousine Aglauré, viens-tu danser avec moi !…

Que cette façon familière de l’inviter lui paraissait inconvenante maintenant !


CHAPITRE TROISIÈME.

LES HUIT DANSEURS.


Aglaure était si contente, qu’elle ne s’apercevait plus qu’elle était fatiguée.

Elle dansait fort bien, avec beaucoup de grâce, et comme on l’admirait et que le succès donne des forces, elle oubliait qu’elle avait déjà sauté toute la matinée ; elle se croyait encore à sa première contredanse. La vanité fait des prodiges : elle