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LA FÉE GRIGNOTE

CHAPITRE QUATRIÈME.

MOYEN INGÉNIEUX.


Mais bientôt ce grand espoir se dissipa. Le soir du samedi était arrivé, et les enfants n’avaient point obtenu leur grâce. Ils commençaient à se défier de Grignote, à se repentir de leur clémence.

La petite fée n’avait pas de temps à perdre pour exécuter ses projets : elle les méditait en silence ; elle guettait une occasion favorable. Quoique très-jeune, et, de plus, souris, elle savait que de l’à-propos seul dépend le succès des coups d’État, et elle attendait avec la patience de l’homme de génie que l’instant d’agir fût arrivé.

Tous les élèves étaient réunis dans le réfectoire : c’était l’heure du souper. On leur avait servi ce jour-là un grand plat de haricots qui n’avaient pas trop bonne mine. La sauce était si claire, si claire, si abondante, que je crois que toute la fontaine y avait passé. Les tristes haricots étaient dans le plat comme submergés.

Richemont, qui, comme nous l’avons déjà dit, était un mauvais plaisant, après avoir inutilement poursuivi un haricot au fond de cet océan, c’est-à-dire dans son assiette inondée de sauce, tout à coup ôta son habit. Cette action inaccoutumée attira l’attention du maître.

— Que faites-vous donc là, monsieur ? dit-il avec colère ; pourquoi ôtez-vous votre habit ?

— Pour aller chercher mes haricots à la nage, répondit Richemont avec effronterie.

Le maître allait se fâcher ; mais, au même instant, Grignote vint courir dans ses jambes, et, loin de se mettre en colère, il sourit.

Grignote, encouragée par ce succès, recommença ses promenades, et le maître finit par rire tout à fait de bon cœur avec ses élèves.

Sa femme, qui était très-douce, profita de sa bonne humeur pour lui demander la grâce des pauvres écoliers.