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LA FÉE GRIGNOTE

plus pour le défendre. Il se prit à rire, et sa gaieté fut d’autant plus grande qu’elle était rare. C’était un gros rire d’Allemand, une joie de plomb, qui retombait sur le maître comme une injure.

— Vous aussi, monsieur, vous vous mêlez de rire ! s’écria le maître dans une fureur impossible à dépeindre ; et, en se fâchant, il allait et venait, s’agitait, se retournait en faisant voir chaque fois son grand dos tout blanc, la cause de tant de trouble.

Plus il se démenait, plus les enfants riaient, plus la fée Grignote allait leur chatouiller les jambes.

Enfin, n’y pouvant plus tenir, le maître résolut de prendre un parti violent. — Messieurs ! dit-il, tant d’insubordination mérite une punition éclatante : toute la classe est en retenue pour la troisième fois ! Pas un de vous ne sortira dimanche ; pas un seul, entendez-vous bien ?

À ces mots, le maître indigné s’en alla. Mais comme la fée Grignote, effrayée par cette grosse voix, était retournée dans son trou, les enfants ne songèrent plus à rire ; et le dos blanc qu’en s’éloignant il leur montra n’excita plus leur gaieté.

La consternation était parmi les élèves : il y avait déjà trois dimanches qu’ils n’étaient sortis, qu’ils n’avaient vu leurs parents, et ils pressentaient combien ceux-ci seraient mécontents qu’on leur refusât encore leurs enfants pour la troisième fois.

Alors les plus petits se mirent à pleurer, parce qu’ils étaient les plus innocents ; les plus grands, au contraire, entrèrent dans une extrême fureur, parce qu’ils étaient les plus coupables.

Quand on a des torts, on est bien heureux de s’en prendre à quelqu’un ; et ceux même, parmi les écoliers, qui avaient le plus nié l’existence de la fée Grignote, furent les premiers à n’en plus douter dès qu’ils eurent une si belle occasion de l’accuser.

À peine le maître fut-il sorti de la classe que la colère éclata.

— Grignote ! s’écrièrent-ils, méchante Grignote ! c’est toi qui causes tous nos malheurs !

Ces paroles furent le signal de la révolte.

— Oui, dit Richemont, une des mauvaises têtes de la pen-