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LA FÉE GRIGNOTE

Plusieurs enfants refusèrent de croire à l’existence de la fée Grignote, et ceux qui ajoutaient foi à cette explication de leurs rires ne purent admettre qu’une souris fée se laissât jamais attraper, et surtout attraper avec du lard.


CHAPITRE DEUXIÈME.

LE DOS DU MAÎTRE.


Sur ces entrefaites, le maître entra. Il venait de surveiller un bâtiment qu’il faisait construire dans le jardin, et, sans s’en apercevoir, il s’était appuyé contre un mur nouvellement terminé, de sorte qu’il était barbouillé de plâtre ; il en avait le dos tout blanc. Du reste, cela ne l’empêchait pas d’être grave et sévère comme tous les jours.

Les enfants ne l’eurent pas plutôt aperçu avec son dos blanc qu’il promenait dans toutes les classes, que la fée Grignote vint leur chatouiller les jambes et qu’ils se prirent à rire comme des fous.

Les plus jeunes éclatèrent les premiers ; les grands se mordaient les lèvres, faisaient semblant de tousser, de ramasser leur plume, qui n’était pas tombée, inventaient enfin toutes sortes de contorsions pour cacher leur envie de rire. Il y en avait un surtout qui se tordait la bouche en grimaces horribles, à travers lesquelles un malin sourire se trahissait malgré lui. Le maître ne fut pas dupe de cette hypocrisie :

— Qu’avez-vous, monsieur ? dit-il sévèrement : pourquoi riez-vous ainsi ?

— Je ne ris pas, monsieur, répondit l’insolent menteur ; c’est un mal de dents que j’ai depuis ce matin, qui me tire la bouche de chaque côté et qui me donne toujours l’air de sourire, quoique je n’en aie pas envie.

À cet indigne mensonge, les écoliers ne purent garder leur sérieux, et la fée Grignote recommença encore ses promenades. Cette fois, le rire fut soudain et général. Louffi, Louffi lui-même, sentit que les clous de ses souliers ne suffisaient