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LA FÉE GRIGNOTE

Les enfants, qui ne savaient ce que c’était que la fée Grignote, ne comprenaient rien eux-mêmes à leur gaieté.

— Pourquoi ris-tu ? disait l’un à son camarade.

— Moi ! je ris parce que je te vois rire. Et toi ?

— Moi ! je ris de ce grand niais de Mélibert, qui rit là-bas comme un fou. Regarde-le donc, comme il se tient les côtes !

Et tous recommençaient à rire de plus belle ; car la fée Grignote se promenait sous la table et s’amusait à les chatouiller à leur insu.

Cependant les maîtres se plaignaient fort de l’étourderie des élèves ; les punitions, les pensums, pleuvaient sur toute la classe comme grêle. On avait beau mettre en retenue tous les écoliers à la fois, ils n’en continuaient pas moins à rire, et, ce qu’il y a de plus étrange, sans pouvoir expliquer ce qui les avait fait tant rire.

Les parents s’indignaient de ne pouvoir point emmener leurs enfants le dimanche, quand ils se donnaient eux-mêmes la peine de venir les chercher. Ils se fâchaient, ils grondaient, menaçaient leurs fils de ne plus les aimer, et s’en retournaient furieux. Les enfants pleuraient bien un peu en les voyant partir, mais, une fois rentrés dans la classe, la méchante fée venait encore se promener dans leurs jambes, et les rires recommençaient. Ils riaient toujours : en mangeant, en courant, en pleurant même, oui, en pleurant ; en pénitence, avec le bonnet d’âne sur la tête ! Il est vrai que cette punition, hors de mode maintenant, était bien faite pour amuser.

Deux dimanches s’étaient passés ; et deux dimanches tous les écoliers furent mis en retenue, tous, excepté un seul pourtant, qui était toujours si triste et si maussade, qu’il n’y avait pas moyen de le punir pour sa gaieté. Cet élève, plus âgé que les autres, se nommait Louis ; mais ses camarades l’appelaient Louffi, pour se moquer de sa mauvaise humeur.

Le dimanche matin, Louis fut donc le seul des élèves qui obtint la permission de sortir. Ses camarades le virent s’éloigner avec envie ; et le soir, quand il rentra, on l’accabla de mauvaises plaisanteries : on l’appela hypocrite, vieux Louffi, ours, vilain philosophe, et mille autres injures de ce genre.

— Comment fais-tu donc, chien d’hypocrite, pour rester