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M. DE PHILOMÈLE.

CHAPITRE QUATRIÈME.

SOUFFRANCES D’AMOUR-PROPRE


En entrant dans, le salon, M. de PhiloméLe s’attendait à une sorte d’empressement, de trouble, causé par sa présence. — Toutes les jeunes filles vont me regarder, se disait-il ; elles voudront inspirer le poëte fameux, l’attacher à leur char capricieux, le faire languir pour qu’il chante ses peines… — Mais il fut très-surpris de voir qu’elles ne faisaient aucune attention à lui ; elles restaient dans un coin du salon à ricaner ensemble comme des pensionnaires, et s’inquiétaient fort peu du poëte célèbre qui devait les immortaliser.

L’une d’elles, seulement, dit tout bas à ses compagnes : — Mesdemoiselles, regardez donc ce monsieur, comme il est petit.

Toutes alors se mirent à rire, et puis il n’en fut plus question.

— Ce sont de petites sottes, dit en lui-même le rossignol mécontent ; elles ne lisent rien, nos vers leur sont inconnus : je comprends leur indifférence.

En disant cela, il s’approcha des femmes mariées et des mères de famille, qui causaient entre elles ; il les trouva très-aimables. Elles lui demandèrent combien de temps il comptait habiter le pays, s’il s’y plaisait un peu, s’il se proposait d’y revenir ; mais de ses talents, elles ne dirent pas un mot ; de ses vers, pas un éloge, pas même un éloge détourné : il l’aurait si vite compris, le pauvre poëte !

— Ce sont de grosses mères de famille tout à leurs enfants, pensa-t-il ; elles ne lisent rien non plus. Voyons les hommes.

Les hommes se composaient d’un coq, de douze pigeons, de sept oies et de huit canards.

Il alla vers le coq et le salua. C’était un gros insolent qui, en parlant, faisait beaucoup de bruit ; il était occupé à causer politique, et paraissait fort irrité qu’on l’eût choisi pour représentant, pour emblème d’un parti, sans le consulter. — J’ai toujours été du parti de la guerre, disait-il…