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M. DE PHILOMÈLE.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE TROISIÈME.

VANITÉ D’ESPRIT.


Dans le même temps vivait un rossignol célèbre, qui, sans être aussi riche que notre âne, jouissait d’une aimable médiocrité. Son nid était confortable, situé dans une belle forêt fréquentée par un grand nombre de ses confrères ; en somme, il n’avait pas à se plaindre du sort.

Mais ce rossignol était d’une vanité sordide, si j’ose m’exprimer ainsi ; il aurait voulu accaparer toutes les louanges. Si l’on vantait un de ses collègues, on l’offensait, on lui déchirait le cœur : tout éloge donné à autrui lui semblait un vol qu’on lui faisait ; si vous aviez le malheur d’écouter avec plaisir son voisin, il vous haïssait pour la vie ; il détestait aussi le voisin, et le poursuivait de sa vengeance, lui, sa femme et ses enfants. Ce rossignol était réellement insociable ; il ne se plaisait nulle part, boudait tout le monde, et prouvait que le talent n’est rien sans un doux caractère.

— Je suis bien sot, se dit-il un jour, de vivre dans cette forêt ; je n’y produis point d’effet, et cela est tout simple : il y a ici cent rossignols qui chantent aussi bien que moi ; on ne brille point avec tant de rivaux. Changeons de société : voyons des gens sans talent ; voyons des poules, par exemple ; leur chant ne fera pas de tort au mien ; la voix du coq est sonore, il est vrai, mais elle ne sait point moduler ; les pigeons savent peu de musique. Je ne crains personne dans ce monde-là ; allons-y.