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M. MARTIN DE MONTMARTRE.

discussion n’était pas sans charme ; il servait à la vivifier et à la soutenir.

M. de Montmartre avait encore d’autres petits talents de société : il chantait avec goût, et pouvait faire sa partie dans un concert ; au billard, il jouait mal et payait bien. Aussi il était lié d’amitié avec plusieurs jeunes écervelés, enchantés de réparer leurs pertes à ses dépens.

C’étaient pour la plupart de fashionables Anglais, d’élégants chevaux de courses, tous jeunes lords très-fiers de leur naissance et ne parlant jamais que de leurs aïeux. Les gentlemen se moquaient bien aussi quelquefois du parvenu, mais l’âne supportait leur ironie : — J’aime autant, se disait-il, la protection dédaigneuse de ces aimables étrangers que la malveillance envieuse de mes amis ; car je ne compte pas sur la bonne affection de ces indifférents, et si leur légèreté peut quelquefois m’offenser, leur ingratitude du moins ne viendra jamais m’affliger.

Cet âne était philosophe, il avait raison : le coup de poignard d’un inconnu déchire moins le cœur que les coups d’épingle d’un ami.

La saison des eaux passée, il revint à Paris ; les relations nouvelles qu’il s’était faites lui en rendirent le séjour plus agréable : c’étaient tous les jours des courses au bois de Boulogne, des gageures, des promenades, des dîners sur l’herbe, des plaisirs sans fin.

Les ânes du Lois de Boulogne, le voyant avec des chevaux, mis comme les chevaux, galopant comme les chevaux, ne le reconnurent point pour un âne ; seulement ils disaient en le regardant courir : — Voilà un bien vilain cheval !

Le richard, n’entendant point cela, se croyait charmant, et comme on admirait tout ce qu’il possédait, il se trouvait beau.

En effet, personne n’avait plus d’élégance et ne menait plus grand train que M. de Montmartre : il avait table ouverte, ses dîners étaient exquis ; il avait sa loge à Franconi, et c’était le rendez-vous des merveilleux de Paris ; là se faisaient les réputations : ces messieurs encourageaient les débutantes, donnaient le signal des applaudissements ; nul n’osait hasarder un bravo avant qu’ils eussent marqué leur approbation, soit en