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M. MARTIN DE MONTMARTRE.

goût, trouvant mauvais qu’il eût changé son bât pour une selle anglaise ; critiquant sa mise, la livrée de ses gens ; se parlant bas à l’oreille, souriant avec finesse, et se regardant entre eux malignement : — Il fait le riche, se disaient-ils ; quel luxe insolent !…

— Pourvu que cela dure ! ajoutait une vieille ânesse fort envieuse.

Ainsi ces ingrats convives ne pouvaient pardonner à leur ami un luxe qu’il les invitait à partager. Ils riaient de lui, parce qu’il faisait pour eux de grandes dépenses ; et cependant, s’il n’en eût point fait, ils l’auraient traité d’avare et d’Harpagon.

— Voilà pour les amis ! pensa notre richard. Essayons maintenant des indifférents.


CHAPITRE DEUXIÈME

IL SE LIE AVEC DES ÉLÉGANTS.


Décidé à avoir une autre société et surtout à se débarrasser de la sienne, l’âne se mit à voyager pour rompre les chiens.

Il se rendit aux eaux du Mont-Dore. Là, il fut accueilli avec empressement : tout ce qui est bizarre amuse dans une ville d’eaux. Comme les politesses n’y engagent à rien, on les prodigue ; on trouve un dédommagement à l’obligation de se voir tous les jours dans la possibilité que l’on a de ne se revoir jamais.

L’âne s’amusa beaucoup : l’habitude qu’il avait de gravir les montagnes le fit rechercher de tout le monde : il était de toutes les promenades ; les femmes se l’arrachaient. Bien qu’il fût ignorant, comme il avait beaucoup voyagé dans sa jeunesse, sa conversation était agréable. Il contait à merveille, et même ce défaut originaire qu’on reproche à ses semblables ajoutait au piquant de son esprit : il était fort entêté dans ses opinions, mais cet entêtement, insupportable dans un chemin de traverse ou lorsqu’il s’agit de franchir une rivière, appliqué à la