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MARGUERITE

telle mort. Étienne devinait bien qu’elle se cachait de lui pour s’occuper de ce sauveur, et sa jalousie augmentait. Il n’avait jamais aimé Gaston, maintenant il le haïssait presque ; il ne pouvait pardonner au pauvre enfant d’avoir fourni à un autre homme l’occasion de se dévouer pour Marguerite,



III.

Gaston pleura son camarade plus longtemps qu’on ne pleure ordinairement à son âge. Cette mort fit sur son esprit une impression profonde. Souvent on le surprenait seul, pâle, immobile, attachant sur la maison de Charles des yeux brillants de larmes. Quand il passait devant le cerisier, devenu fameux, depuis cette triste journée, il détournait la tête pour ne pas voir la place où il jouait avec son compagnon, et il était évident que ce souvenir tourmentait encore sa jeune pensée.

D’ailleurs Gaston, comme tous les fils uniques, était déjà un vieil enfant ; il était de la race des songeurs : l’habitude de vivre toujours avec des grandes personnes et surtout l’obligation de jouer seul le forçaient à être méditatif et ingénieux. Un enfant qui a des frères et des sœurs court avec eux dans le jardin, se cache, les cherche ou se bat avec eux ; l’activité des jambes suffit à une troupe de démons pour se divertir ; mais quand on est seul, c’est à l’activité de l’esprit qu’on a recours pour s’amuser ; on appelle les fictions à son aide, l’imagination travaille en petit, mais elle n’en travaille pas moins ardemment ; et il en résulte que les enfants élevés dans la solitude ont plus d’esprit, plus de réflexion que les autres, mais aussi ont moins de fraîcheur et de naïveté.

Quels efforts d’imagination ne faut-il pas faire pour distraire un enfant qu’on tient enfermé un jour de pluie ! C’est alors qu’on le nourrit de fictions et qu’on lui apprend, tout en jouant, à mentir, à feindre, à exagérer, à parodier, à voir ce qui n’est pas, à répondre à ce qui n’a pas été dit, à redouter des périls imaginaires, à simuler une colère factice, à composer toutes