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M. MARTIN DE MONTMARTRE.

PREMIÈRE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

IL DONNE UN GRAND DÎNER.


Il était une fois un âne qui avait fait fortune : il jouait à la Bourse, ses spéculations furent heureuses, et il était devenu millionnaire, non pas de ces gros capitalistes qui font mouvoir des États avec leur argent, qui se ruinent à faire des rois ; mais un agréable petit richard, aussi millionnaire que peut l’être un âne.

En changeant de condition, cet âne sentit qu’il fallait changer d’allure et même de société ; mais comme dans le fond du cœur il était assez bonhomme, et qu’il ne voulait point offenser ses anciens camarades en les mettant tout simplement à la porte, il espéra qu’en adoptant d’autres habitudes, il dérouterait ses amis et qu’ils s’éloigneraient d’eux-mêmes.

Il vendit sa méchante étable, son misérable râtelier ; il se fit bâtir une admirable écurie, arrangée à l’anglaise, avec de superbes mangeoires de marbre, des stalles d’acajou, des râteliers de fer jaspé, des lampes de bronze, etc. : c’était un luxe de prince.

Notre âne, qui s’appelait Martin, comme tous les autres ânes, trouvant ce nom trop vulgaire pour un âne parvenu à la fortune, voulut s’anoblir en y joignant le nom de sa ville natale : il s’appela donc d’abord M. Martin de Montmartre, puis M. de Montmartre tout uniment.

Un jour il invita tous ses anciens confrères à un grand repas.