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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

Quelle fut sa contrariété en voyant ces roses pendantes et meurtries, couvertes de boue, incapables même de figurer sur le chapeau d’une bergère en cabriolet, le mardi gras !

— Mademoiselle, s’écria-t-il en les prenant avec indignation, il me sera impossible de vous coiffer avec cela !

Églantine n’était point coquette, elle avait raison ; elle était si belle ! La vue de ce paquet de fleurs crottées, loin de la fâcher, la fit rire. Je ne mettrai pas de guirlande aujourd’hui, dit-elle. Fanny, donnez-moi cette branche de lilas que j’avais l’autre jour ; toutes les fleurs vont également bien avec une robe de crêpe blanc.

À ces mots, Zoé s’élança hors de la chambre dans le plus violent désespoir. Elle s’irritait de tant de patience. — Quoi ! pensait-elle, pas même coquette ! On lui gâte sa parure, et cela, qui ferait tant de peine à d’autres femmes, ne lui donne pas seulement un peu d’humeur !

Zoé reprochait à Églantine sa douceur comme un crime : elle l’accusait d’insouciance ; elle ne pouvait lui pardonner un si bon caractère qui renversait toutes ses espérances. C’est ainsi que nous prenons souvent pour un défaut, chez nos amis, une bonne qualité qui nous gêne.


CHAPITRE NEUVIÈME.

LE RESSENTIMENT.


Zoé passa un mois dans la tristesse et le découragement ; elle s’ennuyait horriblement d’être chatte et se désolait d’être séparée de sa mère ; elle s’imaginait que madame Épernay aval adopté une de ses cousines, et cette pensée la faisait pleurer de jalousie.

Elle désespérait de jamais parvenir à fâcher sa maîtresse, ou du moins elle sentait que, pour l’irriter, il faudrait lui faire une peine sérieuse et elle ne pouvait s’y décider.

Zoé brûlait de reprendre sa première forme, mais il lui en coûtait d’être ingrate et d’affliger cette bonne Églantine