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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

père ; ce dessin était très-avancé, il n’y avait plus que quelques coups de crayon à donner pour le terminer entièrement.

Zoé, voyant que sa maîtresse avait mis beaucoup de soin à cet ouvrage, pensa que s’il était gâté, elle serait fort en colère. Aussi, un jour qu’Églantine était sortie, la maligne chatte s’empara du dessin, le déchira, le mit en pièces, et lécha si proprement tout le crayon, que les arbres, les ruisseaux, les vaches, les maisons, ne faisaient plus qu’une même chose.

Après ce beau travail, Zoé alla se cacher sous la table pour guetter la colère, de sa maîtresse.

Églantine revint peu de moments après. Elle fut d’abord quelque temps avant de reconnaître son dessin dans ces chiffons de papier déchirés qui jonchaient le tapis ; puis, lorsqu’elle se fut assurée que c’était bien son ouvrage qu’on avait ainsi arrangé, au lieu d’entrer dans une grande fureur, comme Zoé s’y attendait, elle se mit à rire.

— Si mon père voyait cela, s’écria-t-elle, comme il se moquerait de moi ! « C’est bien fait, me dirait-il ; pourquoi avez-vous des chats ?… »

En parlant ainsi, Églantine ramassa les morceaux de son dessin, les jeta au feu pour qu’il ne restât aucune trace du crime de sa chère Zoé ; puis elle se remit à dessiner et commença un second paysage, comme s’il n’était rien arrivé. Il était impossible de lire sur son visage la moindre impression de dépit.

Cependant Zoé sortit bravement de sa cachette, espérant que sa vue exciterait la colère de sa maîtresse, et qu’après l’avoir grondée, elle lui dirait enfin : « Zoé, je te pardonne ! » mais Églantine ne la gronda point.

— Cache-toi bien vite, lui dit-elle ; mon père va venir, tu sais qu’il n’aime point les chats.

Et Zoé s’éloigna, triste et découragée.