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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

de la première plume qui se trouva sous sa patte ; hélas ! la difficulté était de tenir cette plume et de tracer quelques caractères tant soit peu lisibles. Après avoir figuré quelques traits informes, qu’elle croyait être des mots, Zoé voulut relire sa lettre, mais elle ne put s’y reconnaître : c’étaient des zigzags à n’en plus finir, des triangles, des losanges, des profils de nez pointus, de tout excepté de l’écriture ; c’était enfin ce que peut faire un chat avec sa patte : je ne saurais rien dire de mieux.

Impatientée de voir qu’elle ne réussissait point, elle jeta sa plume et trempa sa patte tout entière dans l’encrier, essayant d’écrire avec ses griffes ; mais, ma foi ! ce fut bien autre chose : au lieu d’une lettre, elle en formait cinq à la fois, et puis elle faisait des pâtés, ah ! mais des pâtés… à épuiser la boutique d’un marchand d’encre !

Elle avait déjà jeté de l’encre sur tous les papiers qui étaient sur la table, sur le fauteuil et sur deux ou trois livres, lorsque la personne qui habitait cette chambre arriva. C’était une grande jeune fille, d’environ seize ans, qui parut fort surprise de trouver chez elle une grosse chatte qu’elle ne connaissait point du tout, occupée à écrire devant son bureau.

Bien loin de se fâcher, Églantine (la jeune personne se nommait ainsi), charmée de voir une chatte si bien élevée, fit à Zoé toutes sortes de caresses, lui donna des bonbons, des croquignoles, du bon lait qui restait de son déjeuner ; et Zoé se rappela ce que son maître d’écriture lui avait dit souvent en lui donnant sa leçon : — Un jour, mademoiselle, vous serez bien heureuse de savoir écrire.

Zoé se ressouvint aussi des paroles du sorcier, que sa douleur lui avait d’abord fait oublier : — Tu ne reprendras ta forme première que si jamais quelqu’un te dit : « Zoé, je te pardonne ! » — Et alors la pauvre chatte, se voyant si bien traitée, reprit courage, et espéra qu’un jour elle pourrait amener cette belle Églantine, qui l’aimait déjà, à prononcer cette parole de salut : « Zoé, je te pardonne ! »