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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

douce, à force d’inquiétude devenait impatiente et violente ; elle grondait tous ses domestiques, leur ordonnait de courir dans toutes les rues pour chercher son enfant ; elle reprochait au portier d’avoir laissé sortir sa fille ; puis elle revenait dans son appartement, regardait l’heure qu’il était à la pendule et mesurait, d’après le temps qui s’était écoulé, les progrès de son inquiétude.

À mesure que la journée s’avançait, cette inquiétude agitée se changeait en un horrible désespoir. Elle avait envoyé chez tous ses amis, tous ses parents, à la police, dans tout le voisinage, et personne n’avait pu lui donner de nouvelles de Zoé.

Tout à coup l’idée lui vint que sa fille était morte par suite d’un affreux accident, qu’elle était tombée dans le feu ou par la fenêtre, ou qu’elle s’était noyée, et qu’on le lui cachait pour lui laisser encore un peu d’espoir ; qu’on voulait la préparer par degrés à ce coup terrible. — Ma fille, ma fille ! criait-elle ; oh ! dites-moi la vérité : la reverrai-je ? Que lui est-il arrivé ? Oh ! ne me cachez rien, je vous en conjure ! Alors elle pleurait… c’étaient des sanglots à fendre le cœur.

Sans doute cette malheureuse femme était bien à plaindre ; mais pourtant il y avait au monde quelqu’un de plus à plaindre encore, c’était Zoé ; Zoé, qui entendait les cris affreux de sa mère et qui ne pouvait lui dire : Je suis là ! Jamais un enfant n’avait rien éprouvé de pareil ; car jamais les enfants ne savent comme on les aime, comme on les pleure ; et elle seule connaissait l’affreux chagrin de voir sa mère si malheureuse à cause d’elle.

Dans l’excès de sa douleur, Zoé imagina d’aller chez le sorcier, le conjurer de lui rendre sa première forme ; mais le sorcier était parti, et son fourneau même avait disparu. Zoé resta toute la nuit dans la cour à regarder les fenêtres de sa mère et à voir passer et repasser l’ombre des personnes qui s’empressaient auprès d’elle pour la servir, madame Épernay se trouvant fort malade par suite de sa douleur.

Zoé guettait un instant favorable où la porte de l’appartement de sa mère serait entr’ouverte, afin de s’introduire auprès d’elle ; mais le vilain épagneul était toujours là, terrible et