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MARGUERITE

attribuait, lui, ce trait de courage à un dompteur d’animaux qui était ici l’autre jour, à la fête de Mazerat. Il paraît que c’est un homme d’une audace prodigieuse ; M. de la Fresnaye le croyait encore dans les environs ; mais quelqu’un vient de me dire qu’il était parti avant-hier et qu’il allait donner des représentations à Bordeaux. Je pencherais volontiers pour cette opinion.

— Moi aussi, dit madame d’Arzac ; tous ces acrobates, ces funambules obtiennent des prix de vertu : ces gens-là sauvent beaucoup.

— Oui, dit Marguerite, dans les incendies, parce que leur agilité les rend très-habiles, mais dans une forêt !…

— Ce qui me confirmerait dans cette opinion, reprit le sous-préfet, c’est le tour de force accompli par cet homme ; il n’est pas facile à tout le monde de prendre un enfant de six ans d’une seule main et de le poser dans un arbre à bras tendu. Il faut pour cela avoir l’habitude de soulever des poids énormes.

— Eh ! monsieur, s’écria Gaston d’un air crâne, ce n’est pas du tout difficile ! Nous en faisons bien d’autres au gymnase Triat. Et si M. Triat était là, il vous prendrait vous-même par votre collet, et il saurait bien vous lancer dans un arbre !

Marguerite fit semblant de gronder Gaston pour que le sous-préfet ne la vît pas rire de l’étrange figure qu’il avait en écoutant ces menaces.

— Qu’est-ce donc que ce M. Triat ? demanda-t-il.

— C’est le fondateur d’un gymnase nouveau où Gaston va faire des exercices.

— Je ne connais pas… Au reste, reprit-il, l’idée elle-même était audacieuse : mettre un enfant au haut d’un arbre, c’était risquer de lui faire casser le cou.

— Ah ! me casser le cou ! s’écria encore Gaston indigné, parce qu’on me met sur un petit cerisier tout bas… tout bas… moi qui grimpe dans les cordes, à plus de soixante pieds de haut !

Le sous-préfet n’osa plus rien dire et s’en alla.

— Eh bien, avais-je raison, Marguerite ? Ton sous-préfet t’a-t-il appris quelque chose ? Il t’a répété naïvement un conte inventé par ces messieurs, qui se sont moqués de lui.