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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

donnait depuis tant de mois pour maintenir ce feu dans une chaleur égale et continuelle étaient perdues comme s’il n’avait jamais rien fait : en vain il avait déterré tous les trésors de la science, en vain il avait veillé nuit et jour pour parvenir à une découverte merveilleuse, tout cela était devenu inutile. Il fallait tout recommencer, à la dernière épreuve, au moment même du succès ! Qu’on se figure donc le désespoir du sorcier, quand il vit d’un seul coup tout son avenir détruit, son travail anéanti… Il devint pâle de colère, il pleurait de rage, comme pleure un sorcier : des larmes, des larmes noires coulèrent de ses yeux et tombèrent sur la pierre blanche semblables à deux taches d’encre ; ses mains se tordaient de fureur. Il ne pouvait parler, il repassait dans sa mémoire infernale les imprécations les plus terribles, les malédictions les plus puissantes, pour en accabler la malheureuse enfant, qui s’était jetée à genoux devant lui et qui élevait en tremblant ses mains suppliantes.

Tout à coup, perdant la tête, et comme saisi d’une inspiration de vengeance, il s’empara du poêlon fatal où les deux gros yeux brillaient encore et lança violemment tout ce qu’il contenait au visage de la pauvre Zoé, qui courba la tête, épouvantée, et tomba évanouie.

Le sorcier, tournant plusieurs fois autour d’elle, prononça les paroles magiques :


HADZINN A POUN !
HADZINN A POUN !
HADZINN A POUN !…


et bientôt Zoé né fut plus Zoé : ses jolies petites mains s’étaient changées en pattes avec de longues griffes, ses grands yeux d’un bleu si tendre étaient de gros yeux verts, ses cheveux blonds n’étaient plus qu’une épaisse fourrure ; enfin, cette Zoé si gentille, si fière de sa beauté, n’était plus qu’une grosse chatte sans grâce, que comme chatte on n’aurait pas même admirée.

Quand la pauvre Zoé revint à elle et qu’elle comprit sa métamorphose, son cœur se serra tristement ; elle voulut parler, parler avec cette douce voix à laquelle sa bonne mère ne pouvait résister : hélas ! elle n’avait plus de voix ; elle miaula,