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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

hâta de la remplir de charbons ardents, en tâchant de faire le moins de bruit possible.

Elle tremblait d’éveiller le sorcier, elle n’osait respirer ; quelque chose lui disait que ce qu’elle faisait était dangereux ; elle frissonnait au moindre bruit ; cependant le désir de mettre sa belle robe lilas ce matin même, car ses petites amies devaient venir souhaiter la fête à sa mère, l’idée de leur paraître plus jolie encore qu’à l’ordinaire, l’aidaient à surmonter toutes ses craintes. Elle était si coquette, cette petite Zoé ! et on lui avait toujours dit que sa coquetterie un jour lui porterait malheur.

Après avoir dérobé autant de feu qu’il en pouvait tenir sur la pelle, après avoir remis tout doucement les pincettes du sorcier sur le fourneau, Zoé se disposait à s’éloigner, lorsque tout à coup elle aperçut dans le poêlon magique deux gros yeux qui la regardaient fixement.

Sa frayeur fut si grande, qu’elle jeta un cri malgré elle et que la pelle tomba de ses mains. Au même instant le sorcier s’éveilla…


CHAPITRE TROISIÈME.

LA MÉTAMORPHOSE.


Il faut avoir passé des années sur un long travail pour comprendre l’importance qu’un homme peut attacher à son ouvrage, un peintre à son tableau, un poëte à son œuvre, un savant à son idée : les enfants ne savent jamais cela ; ils n’attachent d’importance qu’à une poupée, et encore la brisent-ils sitôt qu’on la leur donne. Ils ne comprennent pas que d’une chose qui leur paraît très-laide dépendent quelquefois la gloire, la fortune et le bonheur d’une personne qui y attache un grand prix. Les enfants bien élevés devraient savoir cela, et apprendre de bonne heure à respecter ce qu’ils ignorent.

Zoé ne se doutait pas qu’en repoussant ce poêlon et en le privant de feu pour un moment, elle avait rendu le travail du sorcier impossible, et que toutes les peines qu’il se