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ZOÉ, OU LA MÉTAMORPHOSE.

avec de la terre, des ossements et de la cendre, et qu’il avait su animer toute cette masse en prononçant quelques paroles magiques. Il s’était donc mis à l’ouvrage pour imiter son confrère ; mais lui, ce n’était pas un homme qu’il voulait composer, c’était une femme, et il commençait à espérer beaucoup de succès de son entreprise.

Il y avait déjà soixante-treize jours soixante-treize nuits treize minutes et treize secondes que le poêlon merveilleux était sur le fourneau.

À chaque nouvelle cuisson, le sorcier obtenait un progrès satisfaisant. Le vingt et unième jour, il retira le poêlon du feu, le posa par terre, prononça les paroles magiques :


HADZINN A POUN !
HADZINN A POUN !
HADZINN A POUN !…


et il en vit avec ravissement sortir une jolie petite souris, qui se mit à courir dans toute la chambre ; il la rattrapa aussitôt, la replongea dans le poêlon et remit le tout sur le feu.

Quelques jours après, il recommença une seconde épreuve, et ce fut une chouette qui sortit du poêlon ; quelques jours après, il vit une fouine : — Bon, pensa-t-il, j’approche ; je fais de grands progrès ; dans deux jours je parviendrai à faire une couleuvre… puis une chatte… puis enfin une femme !… J’approche, j’approche ! — Et il se frotta les mains de plaisir.

Remarquez que c’était un sorcier, et qu’un sorcier ne pouvait vouloir créer qu’une méchante femme ; sans cela il aurait commencé par faire une abeille, puis une hirondelle, puis une colombe, puis une levrette, puis une gazelle, et puis enfin une bonne et douce jeune fille. Voilà ce qu’aurait voulu un bon savant.

Le vieillard tourna toute la nuit ce qu’il faisait cuire, se servant pour tourner d’une cuiller d’or au haut de laquelle était une main d’argent qui avait de petites bagues aux doigts, brillantes de pierres précieuses. Il tourna et tourna tant, qu’épuisé de fatigue quand le jour parut, il se laissa tomber dans son grand fauteuil et s’endormit.