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L’ILE DES MARMITONS.

une partie de ses aventures, qui surprirent étrangement le jeune prince.

À peine Cesaro avait-il franchi l’entrée de sa demeure, que Teresina vint se jeter dans ses bras. Oh ! combien elle était joyeuse, cette belle jeune fille ! qu’elle était heureuse de revoir son frère ! si heureuse, qu’elle n’aperçut pas près de lui le prince de Villaflor qu’elle aimait.

Dès qu’il s’approcha d’elle, elle rougit. Hélas ! ma sœur, dit Cesaro en la regardant avec malice, ne te réjouis pas trop ; toujours quelque chose vient gâter notre bonheur, on n’obtient rien sans sacrifice : le roi m’a rendu la faveur qu’il avait retirée à mon père, il est vrai, mais c’est à condition que tu épouseras le prince de Villaflor, que voici. Parle franchement, veux-tu faire pour moi ce sacrifice ?

Teresina se hâta d’embrasser son malin frère, pour cacher le trouble qu’elle éprouvait, et elle lui pardonna sans peine de s’être ainsi moqué d’elle.

Cesaro n’oublia point ses compagnons de naufrage ; il fit à chacun d’eux des présents magnifiques. Souvent il allait se promener dans une belle barque qu’il avait donnée au pêcheur, et souvent aussi il invitait aux repas qu’il offrait à toute la cour le petit joufflu, devenu un riche propriétaire du pays. Le jeune duc se plaisait infiniment à écouter les incroyables mensonges que celui-ci débitait sur leur aventure dans l’île des Marmitons, qu’il prétendait avoir visitée dans tous les sens ; Cesaro eut la patience de l’écouter pendant de longues années, sans jamais le démentir.

Cesaro, doué des qualités les plus brillantes, parvint, quoique jeune, aux plus hauts emplois ; à vingt-huit ans, il était déjà premier ministre et il gouvernait tout le pays. Comme il avait fait présent à sa sœur, maintenant princesse de Villaflor, de l’ancien palais de leur père, il en voulut faire bâtir un autre pour lui-même : c’est celui que l’on admire encore à Naples dans la joyeuse rue de Tolède, palais admirable auquel il donna, en souvenir de ses aventures, le nom de pallazzo Marmitoni.

La morale de ce conte, mes chers neveux, est qu’il ne faut pas se hâter de rire des usages bizarres que nous remarquons