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L’ILE DES MARMITONS.

vous résigniez à les accommoder ; de plus, ils m’ont prouvé que vous étiez audacieux, entreprenant, puisque vous vous engagiez à les servir sur ma table, sans savoir seulement ce que c’était qu’un macaroni ; enfin, ils m’ont prouvé que vous étiez patient, plein de persévérance et d’intelligence, puisque, sans en avoir jamais accommodé, vous êtes parvenu à en dresser un plat aussi fin, aussi délicat que l’aurait fait le meilleur cuisinier de France.

Cesaro paraissait ravi de cette explication.

— L’heure s’avance, dit la reine ; rendez-vous au port, un vaisseau vous attend ; hâtez-vous, le vent est favorable.

Cesaro aurait bien voulu savoir si la reine tiendrait sa promesse, si cette somme considérable qu’il destinait à doter Teresina lui serait donnée ; mais il n’osait adresser à la reine aucune question à ce sujet : le jeune duc sentait combien il serait inconvenant de demander son salaire comme cuisinier, lorsqu’on le traitait en ambassadeur.

La reine Marmite, qui avait l’esprit très-fin, devinait tout cela et lui savait fort bon gré de sa discrétion.

— Enfant, dit-elle, avant de nous quitter ; n’avez-vous aucune grâce à me demander ?

— J’en aurais une bien grande, répondit Cesaro, — mais je n’ose l’exprimer…

— Parlez, dit-elle.

La reine crut qu’il allait réclamer sa récompense, et cette pensée lui déplut ; mais elle fut agréablement surprise lorsque Cesaro continuant :

— Madame, dit-il, il y a deux de mes compagnons de voyage qui languissent ignorés dans cette île ; Votre Majesté voudrait-elle me permettre de les ramener dans leur patrie ?

— Ils sont déjà embarqués sur votre navire, répondit la reine avec malice ; je n’ai que faire de ces deux paresseux dans mes États. Adieu, ajouta-t-elle en lui tendant la main. Je vous regretterais, si je ne vous croyais plus utile à mes intérêts dans votre pays que dans le mien : c’est auprès de votre roi que vous devez me servir. Allez, je compte sur vous.

À ces mots, la reine, ayant permis à Cesaro de lui baiser la main, s’éloigna.