Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
L’ÎLE DES MARMITONS.

temps, le blé de ce pays est le plus beau qu’on puisse voir ; les vins y sont peut-être meilleurs que les bons vins de France ; les oignons sont gros comme des pommes, les pommes sont grosses comme des citrouilles, les citrouilles comme des maisons. On raconte même à ce sujet l’histoire de deux voleurs qui se réfugièrent dans un potiron qu’ils avaient taillé comme une caverne ; ils y demeurèrent longtemps en repos ; malheureusement l’automne arriva, et l’on voulut cueillir la citrouille : ils furent obligés de s’enfuir en laissant tout leur butin, qui se montait, dit-on, à deux millions ; ce fut une bonne trouvaille pour le propriétaire.

Comme Cesaro paraissait ajouter peu de foi à cette fable :

— Cette folle histoire, continua la reine, cache une morale raisonnable ; car s’il est peu probable que deux voleurs habitent une citrouille, il est certain qu’une terre bien cultivée donne des trésors. Voilà pourquoi je suis si gourmande…

— Ceci vous, prouve, dit encore la reine en souriant à son tour, que les défauts des rois ont quelquefois leurs avantages, et que ce qu’il faut désirer dans un monarque, ce n’est pas la perfection, qui est impossible ; c’est un défaut qui soit profitable au pays.

Cesaro, voyant que la reine plaisantait, s’enhardit et voulut faire l’aimable aussi : — Reine, dit-il, je regrette bien que Votre Majesté ne soit pas gourmande.

— Pourquoi ? reprit la reine.

— Si j’avais su cela, je n’aurais point passé trois jours et trois nuits à faire ces malheureux macaronis…

La reine se mit à rire gracieusement.

— Vous auriez eu grand tort, répondit-elle, je les ai goûtés, et, je vous le répète, ils étaient fort bons. Ce sont eux qui m’ont appris ce que vous valez et qui m’ont donné confiance en vous.

Cesaro ouvrait de grands yeux, ne comprenant rien à ces paroles. — Comment des macaronis, pensait-il, peuvent-ils inspirer tant d’estime ?

— Oui, continua la reine, ces macaronis ont suffi à me dévoiler votre caractère. D’abord, ils m’ont prouvé que vous n’aviez point de sottise, puisque vous, duc de San-Severo, marquis della Cava, fils d’un favori du roi de Naples, vous