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OU DEUX AMOURS

Marguerite lui dit les motifs de sa curiosité et les raisons qu’elle avait de croire que le chasseur qui avait sauvé Gaston si adroitement était un ami de M. de Rochemule.

— Fort bien, reprit le sous-préfet ; je saurai qui c’est dans peu de jours et j’aurai l’honneur de vous l’apprendre.

Dès qu’il fut parti : — Ton sous-préfet ne saura rien, dit madame d’Arzac à sa fille.

— Pourquoi, ma mère ?

— Parce qu’un sous-préfet ne sait jamais que ce qu’on lui dit, et qu’on le trompe toujours : c’est une autorité ! Dans le monde, on n’apprend jamais rien que par hasard ; or il n’y a point de hasard pour les autorités ; on les attend, on les guette, on va au-devant d’elles ; qu’est-ce que vous voulez qu’elles surprennent ? Oh ! il viendra te raconter scrupuleusement ce qu’il aura appris, mais ce ne sera qu’une fable absurde, le contraire de la vérité ; et puis il est évident que ce chasseur veut rester inconnu. C’était une manière charmante de se présenter à une châtelaine, jeune et élégante comme toi, que de lui ramener l’enfant qu’on venait de sauver par sa présence d’esprit et son courage ; si ce chasseur s’est enfui comme un homme qui a fait un mauvais coup, en laissant Gaston perché sur un arbre, c’est qu’il a des raisons pour se cacher à nous, et ton sous-préfet n’est pas de force à découvrir le nom d’un malin roué qui a intérêt à se moquer de lui… Tu ne sauras rien, ma fille.

Madame d’Arzac ne se trompait point. Au bout de trois jours, le sous-préfet revint : il ne savait pas le nom du chasseur, mais ce qu’il pouvait affirmer, c’est que ce chasseur ne faisait point partie de la joyeuse société réunie chez M. de Rochemule. Il avait justement rencontré la veille, aux environs de la ville, deux nouveaux hôtes du château de Mazerat, avec lesquels il avait causé fort longtemps : c’étaient M. de la Fresnaye et M. de Pignan : il leur avait parlé de l’accident arrivé chez madame de Meuilles, à la Villeberthier, et ces messieurs n’en savaient seulement pas le premier mot. — M. de la Fresnaye, ajouta le jeune magistrat, quand je lui ai donné tous les détails de l’aventure, prétendait qu’il n’y avait qu’un homme familier avec les bêtes féroces qui fût capable d’un pareil exploit. Il