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L’ÎLE DES MARMITONS.

avait eu tant de peine à se procurer ; l’heure du dîner avançait ; la reine et toute sa cour allaient le juger sans appel : il fallait réussir, réussir à tout prix.

Cesaro s’arma de courage, il enfonça son bonnet de coton sur ses oreilles, il se recueillit, il s’inspira des souvenirs de son enfance  ; il se rappela les délicieux macaronis qu’il faisait filer avec tant de grâce… Il eut une vision… il aperçut autour d’une table merveilleuse comme un grand repas sans convives, où des fourchettes vivantes, se jouant avec leurs compagnes, s’enlaçaient de macaronis gracieux : elles se tournaient, se retournaient dans tous les sens, et les liens flexibles qui les unissaient tournaient et retournaient avec elles ; ils se courbaient sans jamais se rompre !… c’est qu’ils étaient assez cuits pour se ployer sans résistance, mais pas assez cependant pour se briser en se ployant.

Voilà ce que le jeune duc comprit avec un instinct merveilleux. Cette vision l’éclaira ; un seul instant lui montra toutes ses fautes passées, lui révéla toutes ses chances de succès ; il se remit à l’œuvre avec exaltation, et bientôt le triomphe le plus éclatant vint couronner ses efforts.

Jamais on n’avait servi à la table de son père des macaronis plus appétissants. Cesaro était content de lui, car ce qu’il venait de faire était bien, mais il n’était pas rassuré. Les gens qui allaient juger du mérite de son œuvre étaient des ignorants ; or les ignorants sont difficiles. Ils vous commandent de faire des choses qu’ils ne connaissaient point ; puis, quand on leur apporte ce qu’ils ont demandé, ils vous répondent naïvement : « Quoi ! c’est cela que j’ai voulu ? » Bien heureux s’ils ne vous disent pas : « Vous vous êtes trompé ! »

Cesaro vit partir son plat de macaronis avec angoisse. Il attendit dans la plus grande inquiétude que la reine le fît appeler ; mais le dîner se passa, on servit le dessert, le café, et la reine ne le fit point appeler.

Il voulut questionner le maître d’hôtel sur l’effet qu’avaient produit ses pauvres macaronis, mais sa fierté s’y refusa. Une horrible pensée vint à son esprit : il s’imagina que le maître d’hôtel ne les avait point servis sur la table, par jalousie contre lui et pour lui jouer un mauvais tour ; alors le désespoir