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L’ÎLE DES MARMITONS.

Cesaro courut à la prison où le petit joufflu était enfermé. Il trouva le pauvre garçon de fort mauvaise humeur, car tout le monde s’y moquait de lui, geôliers et détenus. Le fait est qu’il était d’une sottise insupportable ; il ne savait, comme nous l’avons déjà remarqué, qu’offrir de l’argent, des carlins à tout le monde.

Or on ignorait ce que c’était que des carlins dans ce pays-là, on ne se doutait pas même qu’une monnaie pût jamais se nommer ainsi ; on ne connaissait, comme chez nous, sous ce nom de carlins, que de vilains petits chiens qui aboient toujours et qui mordent les jambes des enfants que l’on caresse ou des amis que l’on reçoit trop bien. Jugez un peu de l’effet qu’il devait produire, lorsque, pour gagner les geôliers, il leur disait d’une voix gémissante :

— Délivrez-moi, je vous en prie ; je vous donnerai soixante carlins  !

— Qu’est-ce que nous ferions de tes carlins ? s’écriait le geôlier en éclatant de rire et croyant qu’on lui proposait soixante chiens ; envoyez-les donc, mon petit ami, vos carlins, j’ai ici deux bouledogues qui se chargeront de les bien recevoir.

L’enfant, mal élevé, s’irritait de ces plaisanteries. Ce fut vraiment bien autre chose lorsqu’il entendit Cesaro lui demander sérieusement comment on faisait la pâte des macaronis.

— Mauvais petit duc sans duché, s’écria-t-il furieux, ne viens-tu pas aussi te moquer de moi et me reprocher ma naissance ! Eh bien, oui, je suis le fils d’un marchand de macaroni, mais je te méprise, bien que tu sois duc et marquis ; car tu n’iras jamais qu’à pied, et moi je vais en carrosse !

— Tu ne vas ni à pied ni en carrosse, puisque tu es en prison, reprit Cesaro en riant ; mais je veux si peu te reprocher l’obscurité de ta naissance, que tout ce que je désirerais moi-même en ce moment, c’est que mon père eût vendu des macaronis, comme le tien. Ne te fâche pas, viens avec moi, ajouta Cesaro ; si la reine Marmite savait qu’elle possède en ses États le fils d’un marchand de macaroni, elle te comblerait de faveurs. Viens à la cour ; les plus grands honneurs t’y attendent justement à cause de l’état de ton père, dont tu as la sottise de rougir.