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L’ÎLE DES MARMITONS.

loi ; mais la reine tolérait cette infraction, parce qu’elle les entraînait dans de folles dépenses et que cela faisait aller le commerce.

Ceux qui enfonçaient leur bonnet presque sur les yeux étaient des gens graves et soupçonneux, dont on faisait des maîtres d’école, des douaniers ou des ambassadeurs.

Ces jeunes gens qui portaient ledit bonnet tout à fait sur l’oreille, comme s’il allait tomber, étaient des tapageurs, des querelleurs, de mauvaises têtes ; on en faisait des soldats, et les jours de grand péril ils faisaient des miracles. Ailleurs, on en aurait fait des magistrats, et ils auraient sans doute perdu le pays ; le tout est de connaître à quoi chacun est bon, car un défaut bien employé vaut mieux qu’une belle qualité mal placée : c’est ce que la reine Marmite comprenait à merveille, et c’est pourquoi elle avait ordonné que tous ses sujets fussent également vêtus en marmitons. Jamais peuple ne fut plus sagement administré. Eh bien ! tout cela venait de ce scélérat de petit bonnet de coton qui trahissait votre caractère à votre insu. Voyez un peu à quoi tiennent les grandes choses !

Cesaro devina ce secret, parce qu’il avait de l’esprit et surtout parce qu’il n’avait aucune sottise ; car c’est la sottise des jeunes gens qui les empêche de comprendre et de deviner. Un autre, à sa place, loin de s’appliquer à démêler le pourquoi d’un usage si bizarre, s’en serait moqué à cœur joie, aurait levé les épaules de mépris et s’en serait allé en disant : — Quel peuple stupide, d’obéir à cette folle princesse !


CHAPITRE CINQUIÈME.

LE LANGAGE À LA MODE.


Cependant la reine Marmite avait remarqué Cesaro ; rien qu’à la manière gentille et gracieuse dont il avait mis son bonnet de coton, elle avait reconnu en lui un garçon d’esprit. Il est vrai de dire aussi que la façon hardie dont il était monté sur cette pierre, sa jolie tournure, son air distingué, sa physionomie à la fois fière et bienveillante, parlaient d’avance en sa faveur ; il