Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
MARGUERITE

mais lui n’est pas un braconnier ; il était avec le nouveau garde de M. de Rochemule.

— Alors vous pourrez savoir son nom.

— Sans doute. Quand il plaira à madame la marquise, je m’en informerai.

— Tâchez de l’apprendre tout de suite, répondit Marguerite ; je voudrais…

— Parle d’autre chose, lui dit tout bas sa mère ; tu ne vois donc pas que ta curiosité tourmente déjà Étienne ? Pourquoi le faire souffrir ?…

Madame de Meuilles laissa partir le garde-chasse, et elle s’occupa d’Étienne pour le consoler ; mais Étienne fut triste toute la soirée, et chaque fois que Marguerite embrassait son enfant avec une joie pleine de tendresse, comme une pauvre victime sauvée par miracle, il lui semblait qu’elle remerciait un rival inconnu et il pâlissait de jalousie et de dépit.

Pourquoi n’était-ce pas lui qui avait sauvé Gaston ? Il habitait le château, il était là tous les jours, c’eût été si naturel ! mais un étranger, un passant, un indifférent, avoir un tel bonheur… c’était en effet digne de regret et d’envie.

Madame de Meuilles attendit en vain les renseignements que lui avait promis Travay. Ou il ne put rien apprendre, ou il ne voulut rien dire ; bref, on ne sut rien.

Le sous-préfet de la ville voisine vint voir madame de Meuilles. Elle lui demanda quels étaient les chasseurs arrivés récemment chez M. de Rochemule.

— Quoi ! madame, dit-il, vous voulez ; que je vous nomme les héros du camp ennemi ? (M. de Rochemule était un légitimiste très-prononcé.) Vous savez que je ne vais pas chez lui ; je ne sais donc ce qui s’y passe qu’administrativement, car nous sommes en fort bons rapports ensemble pour tout ce qui est chemins, écoles, lavoirs, etc. ; mais pour le reste, nous nous fuyons l’un l’autre avec une égale horreur. Tout ce que je puis vous dire, c’est que l’on attendait chez lui, la semaine dernière, brillante compagnie, tous nos lions parisiens : M. de la Fresnaye, le roi du jour ; le petit d’Héréville, surnommé le Berger de porcelaine ; Maynard le millionnaire, le duc de Bellegarde, MM.  de Milly, Georges de Pignan ; en un mot, la fleur des pois.