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L’ILE DES MARMITONS.

Cette fois, les trois voyageurs se regardèrent avec étonnement, et le petit joufflu s’écria :

— Par saint Janvier ! c’est un pauvre pays que celui où les marmitons vont en voiture !

Enfin, ils arrivèrent aux portes de la ville ; mais à peine étaient-ils parvenus à la barrière, qu’un grand marmiton, d’une physionomie grave et soupçonneuse, vint leur demander leurs passe-ports. — Nous sommes de malheureux étrangers qu’un naufrage a jetés dans cette île, répondit Cesaro, et nous réclamons l’hospitalité.

Le grand marmiton parut satisfait du ton de franchise et de dignité qui accompagnait ces paroles. — Hâtez-vous, messieurs, dit-il, d’entrer dans cette galerie : je craindrais pour vous un malheur si l’autorité vous surprenait dans cet habit. Ce pays a des usages singuliers, j’en conviens ; ce n’est pas un crime de les ignorer, mais ce serait une folie de les braver. Suivez-moi.

En disant ces mots, il conduisit les enfants dans une vaste chambre où l’on déshabillait les voyageurs ; et il fit apporter à chacun d’eux, selon sa taille, un habit de marmiton.

— La reine Marmite, qui gouverne ce pays, continua le grave marmiton, regarde l’art de la cuisine comme la base nécessaire d’un sage gouvernement : c’est pourquoi elle prescrit ce bizarre costume à tous ses sujets. Les étrangers même sont forcés de l’adopter, et l’imprudent qui refuserait de se soumettre à cette loi risquerait d’être mis en prison ou d’être massacré dans les rues.

Cesaro et le pêcheur changèrent d’habits sans murmurer ; mais le gros joufflu ne voulut rien entendre aux excellentes raisons qu’on venait de lui donner : — Je ne veux pas être marmiton ! s’écria-t-il en frappant du pied avec fureur ; grâce au ciel, je suis assez riche pour n’avoir besoin de servir personne ; je ne veux pas faire la cuisine, je ne veux pas être marmiton ! s’il le faut, je payerai plutôt un remplaçant !

On eut beau lui expliquer qu’il ne s’agissait pas de faire des sauces, que cet habit, étant celui de tout le monde, ne l’engageait à rien ; on eut beau lui répéter que ce gros marmiton qu’ils avaient vu passer dans cette belle voiture était un séna-