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L’ÎLE DES MARMITONS.

s’éleva, et les flots, d’abord si calmes, commencèrent à s’agiter ; on entendait comme de grands coups de canon dans les brisants : c’est le bruit que font les vagues en se jetant avec violence dans les grottes ou contre les rochers. Cesaro fronça le sourcil, et regarda de tous côtés autour de lui avec inquiétude ; le petit joufflu pâlit. — Je vous donne dix carlins, s’écria-t-il, si vous nous faites aborder ! J’ai peur ! j’ai peur ! je ne veux pas rester dans ce bateau.

— Il y faudra pourtant bien rester, vraiment, reprit Cesaro ; car si nous approchons du rivage, la barque se brisera contre les rocs, et vous ne m’avez pas trop l’air de savoir nager ; mais patience, restons en pleine mer, ce n’est peut-être qu’un grain ; peut-être ce soir le vent tombera.

Cesaro cherchait à rassurer son compagnon, mais il ne se faisait pas illusion sur leur danger. Il résolut d’éveiller le pêcheur, espérant de lui quelque secours : — Santa Maria ! s’écria le pauvre jeune homme en voyant le péril où il se trouvait subitement, vous m’avez réveillé trop tard !

En effet, la tempête s’annonçait terrible, déjà les vagues furieuses s’élevaient au-dessus de la barque et l’inondaient. Cesaro et le pêcheur, n’ayant plus l’espoir de diriger la barque, s’empressèrent de la vider à mesure que les lames d’eau la remplissaient. Le petit joufflu venait d’être pris du mal de mer ; heureusement, car ses douleurs l’occupèrent assez pour l’empêcher d’entraver la manœuvre par ses contorsions. D’ailleurs, il ne savait rien faire que gémir et offrir de l’argent à tout le monde : je crois que s’il avait conservé sa présence d’esprit il eût offert aussi des carlins à la tempête pour l’apaiser.

La nuit les surprit dans ces angoisses, le pêcheur, perdant tout espoir, tomba à genoux et fit un vœu à la Madone pour sortir de ce danger.

Cesaro pria aussi, non pas pour lui, mais pour Teresina, et pensant qu’il ne la reverrait plus, il pleura.

Tantôt la barque s’élevait rapidement sur une vague comme sur un pic, puis elle retombait précipitée comme dans un gouffre avec une horrible secousse ; on eût dit d’effroyables montagnes russes.