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L’ÎLE DES MARMITONS.


CHAPITRE PREMIER.

LE FRÈRE ET LA SŒUR.


— Non, Teresina, tu ne seras pas religieuse ; je n’y consentirai, jamais !… J’avalerais le golfe de Naples et toutes ses îles, Ischia, Procida, Nisida, Caprée même avec son gros rocher, plutôt que de te laisser entrer au couvent !

— Mais, mon frère, que veux-tu que je devienne, seule au monde, orpheline, sans protecteurs ?

— Et moi, reprit Cesaro avec fierté, ne suis-je pas ton frère ? ne puis-je pas te protéger ?

Teresina ne put s’empêcher de sourire.

— Enfant ! dit-elle, j’ai seize ans et tu n’en as pas encore douze ! D’ailleurs, tu le sais, il nous faut bientôt quitter Naples : le palais de mon malheureux père sera vendu dans un mois ; que pourrions-nous faire dans ce pays, où nous serions humiliés à tout moment ? Sois raisonnable, viens à Rome avec moi, j’y prendrai le voile chez les sœurs de Torre de’ Specchi, et toi tu iras trouver notre oncle le cardinal Z…, qui te protégera.

Cesaro ne répondit rien, mais deux larmes coulèrent sur ses joues pâles, et il contempla tristement sa sœur qui s’éloignait ; elle traversa rapidement et en baissant la tête la longue galerie de tableaux, autrefois si magnifique et maintenant si dépouillée. Ces nobles enfants ruinés ne pouvaient contempler sans douleur la place vide qu’occupaient, naguère les chefs-d’œuvre de Raphaël et du Dominiquin.

Leur père, le duc de San-Severo, qui avait été longtemps favori du roi de Naples, tombé tout à coup en disgrâce,