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NOÉMI, OU L’ENFANT CRÉDULE.

aussi promis de surveiller le déjeuner, et il aime mieux cela, parce que c’est son métier.

Voilà donc Noémi livrée à elle-même pour la première fois de sa vie. On l’avait laissée dans la salle basse, devant la porte du jardin ; elle regardait autour d’elle, elle n’osait s’approcher, elle était toute tremblante. Peu à peu elle s’enhardit ; elle aperçut des fleurs dans le jardin, c’étaient des capucines et des coquelicots ; elle les admira quelques temps en silence avec recueillement ; enfin elle franchit le seuil de la porte et se trouva dans le jardin.

D’abord l’éclat du jour l’éblouit, mais ensuite il l’enivra. Elle éprouva une joie, une joie si grande, que son cœur en battit vivement. Elle sautait, elle sautait, elle courait ; elle ne savait plus ce qu’elle faisait : tout lui paraissait si joli, et le ciel lui semblait si beau !

Elle se familiarisa bientôt avec tous ces objets nouveaux pour elle : elle en avait lu cent fois les descriptions étonnantes, elle n’en reconnut pas un ; bien plus, elle se trompait lorsqu’elle croyait les reconnaître. Elle voulut cueillir une petite clochette qui grimpait dans un groseillier à maquereau ; alors elle se piqua très-fort aux épines du groseillier. Loin de se mettre à pleurer comme aurait fait une petite ignorante, elle sourit et dit : — Oh ! je savais cela ; je me souviens… des épines : c’est une rose.

Or il y avait auprès d’elle un chien qui se chauffait tranquillement au soleil ; il remuait la queue chaque fois que Noémi passait auprès de lui ; car, malgré la robe à ramage de Noémi, il voyait bien que cette petite vieille serait capable de jouer avec lui. Elle l’aperçut et pâlit de frayeur, elle le prit pour un loup : c’était un gros chien de berger. Cependant elle se rassura promptement, et se dit que les loups n’habitaient que les forêts et qu’ils venaient bien rarement dans les villes.

Le gros chien était d’ailleurs si en train de jouer avec la semelle d’un soulier, et il paraissait si peu féroce, que Noémi se hasarda à entamer la conversation avec lui, sans savoir précisément qui il était. Elle se rapprocha peu à peu du gros philosophe, qui ne lui dit point : « Ôte-toi de mon soleil ! » et prenant une petite voix bien douce : — Qui es-tu ? demanda-