répondait d’une voix sèche : — Taisez-vous, mademoiselle, — mot qu’elle avait adopté, et qu’elle jetait au hasard, le plus ordinairement quand la petite n’avait point parlé ; aussi Noémi ignorait absolument la véritable signification de ce mot ; elle croyait que taisez-vous voulait dire finissez. Si elle était à table, à manger tranquillement les mauvais ragoûts qu’on lui servait, la méchante Gertrude, se figurant qu’elle avait parlé, s’écriait tout à coup : — Taisez-vous, mademoiselle ! — la pauvre enfant posait bien vite sa cuiller sur la table, croyant qu’on lui défendait de manger. Son imagination enfantine, n’étant guidée par rien, s’égarait à tout moment. C’est une chose effrayante, que la quantité d’idées fausses qui peuvent germer dans l’esprit d’un enfant qui n’a rien vu et qui pense !
Le père de Noémi était à la guerre ; c’est pourquoi, ayant perdu sa femme à l’âge de vingt ans, et ne pouvant élever lui-même sa fille, il l’avait confiée à sa grand’mère pendant son absence, et c’est aussi pourquoi la petite Noémi était si malheureuse.
Cependant son papa ayant su qu’elle avait appris à lire en quinze jours, voulut la récompenser de ses peines en lui envoyant de bien beaux livres.
Il se rappela ceux qu’on lui avait donnés dans son enfance, ceux qui l’avaient le plus amusé, et il choisit, comme tout le monde aurait fait à sa place, les Contes de Perrault : la Barbe-bleue, le Petit Poucet, Peau-d’âne, etc., et les Fables de la Fontaine.
Noémi fut bien joyeuse quand elle reçut ce beau présent ; elle regarda d’abord la magnifique reliure, qui était en maroquin rouge ; elle n’avait jamais rien vu de pareil ; ensuite elle contempla toutes les images, depuis la première jusqu’à la dernière, une à une, restant une heure à chacune, puis recommençant de plus belle. Il y avait beaucoup de choses qu’elle ne comprenait pas ; il y avait surtout des animaux qu’elle ne connaissait nullement et dont les gravures disproportionnées ne lui donnaient qu’une très-petite idée ; l’âne, par exemple, lui paraissait le plus terrible des animaux, avec ses grandes oreilles qui menacent le ciel ; le tigre, au contraire, lui semblait un joli petit animal moucheté et tacheté ; le lion, un bon