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PRÉFACE.

toupie, à la balle, aux billes, à colin-maillard, à la main chaude, à la baguette, aux barres, au cheval fondu, à la cligne-musette, et vous livrer à toute autre occupation de ce genre. Je n’écris point pour les enfants bien portants : l’air, le grand air, l’exercice, les jeux, les cris, les coups de poing même, voilà ce qui forme le cœur, ce qui nourrit convenablement l’esprit. Après l’étude sérieuse, il faut les jeux bruyants ; il faut courir après avoir pensé. Il ne faut pas lire des contes pendant ses récréations, il faut jouer. Voilà ma grande morale, à moi, entendez-vous, mes neveux ; je serai toujours très-sévère sur ce point-là.

Mais, hélas ! il est de pauvres petits enfants qui ne peuvent pas jouer, qui sont retenus dans leurs lits par la fièvre, la rougeole et d’autres souffrances, quelquefois par de graves accidents ; qui languissent sur un fauteuil, emprisonnés par une chute, une entorse, une brûlure ; de pauvres petits malades qui sont entourés de joujoux inutiles, dont la toupie sommeille sans ronfler, dont le cheval à bascule reste immobile, dont l’aimable tambour est muet : il faut bien les distraire, les amuser par des livres, ceux-là, et c’est pour eux que j’écris.

Je me les figure tristes et malades, comme je vous ai vus souvent, mes chers neveux ! Je vois leurs petits visages, pâles et amaigris par la douleur, s’animer en me lisant, sourire en écoutant mes folies. Ils oublient un moment qu’ils souffrent ; ils supportent plus patiemment l’appareil qui les gêne. Intéressés par un récit bizarre, ils se pressent d’avaler la tisane qu’ils refusaient tout à l’heure, afin de recommencer plus vite leur lecture ; ils s’identifient avec la position de mes héros, et ne songent plus à la leur ; quand le médecin les interroge sur leurs souffrances, ils lui parlent du Chien volant ; ils sont presque joyeux sur un lit de douleur !… Et leurs mères, qui les voient rire après les avoir vus tant pleurer, me rendent grâces sans me connaître ; et, si jamais je rencontre l’une de ces mères, elle me dira : « Je vous remercie, vous avez fait passer une bonne nuit à mon enfant. »

Voilà quel a été mon but dans cet ouvrage ; en l’écrivant, je n’ai pas eu d’autre pensée littéraire.