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je vous connais, vous êtes si fière ! vous n’avez pensé qu’à ma fortune, et vous avez eu peur, n’est-ce pas, qu’on ne vous accusât de vouloir faire faire à un de vos parents ce qu’on appelle une excellente affaire, et c’est par délicatesse que vous le laissiez mourir… Allez, vous êtes de méchants orgueilleux qui m’avez crue une femme sans cœur !

— Ma chère Léontine, ne me grondez pas, dit madame Albert en se jetant dans les bras de sa belle-sœur ; je croyais que vous aimiez…

M. de Lusigny ?… Ah ! je vous conterai son histoire et nous en rirons bien ensemble, je vous jure… Lui aussi, il m’a indignement trompée ; car c’est un hypocrite comme vous, Hector : seulement, les sentiments qu’il cache sont mauvais, voilà toute la différence. Mais, avec une femme de mon caractère, l’hypocrisie du bien est aussi cruelle que celle du mal ; et vous regretterez souvent les beaux jours que votre fausse délicatesse vous a fait perdre.

Hector, rendu à la vie par le bonheur, prit les deux mains de Léontine et les pressa tendrement. Léontine attachait sur son front si pâle encore des yeux baignés de pleurs. Elle comparait l’amour de ce noble jeune homme, qui avait accepté une mort ridicule pour ne pas l’affliger par un trop vif regret, à l’amour de cet homme léger qui, au contraire, l’avait fait souffrir pour conserver son prestige. Tout à coup, cédant à son émotion et se rappelant un mot qui l’avait bien frappée, elle s’écria :

— Ah ! monsieur de Lusigny, vous aviez raison : les femmes s’attachent par la douleur… mais par la douleur qu’elles causent, et non par celle qu’on leur fait éprouver impitoyablement !

Hector fut dangereusement malade encore pendant quelques jours ; mais, devenu docile et ne refusant plus les soins qu’on lui prodiguait, il ne tarda pas à se rétablir.

M. de Lusigny était venu plusieurs fois à l’hôtel de Viremont ; mais on lui avait dit que M. de Bastan était fort malade, que mesdames de Viremont ne recevaient personne. M. de Lusigny savait que dans ces jours d’inquiétude les femmes sont peu coquettes, et que les attentions les plus aimables produisent