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sur Léontine, et ce seul regard, un regard de joie dans ce visage mort, lui dit tout, et lui fait en un instant comprendre cet amour sublime qui jusqu’alors avait su se rendre incompréhensible à force d’abnégation, ou plutôt par sa grandeur même, par son excès.

Ah ! comprendre un tel amour, c’est presque le partager. Léontine s’éveille d’un songe ; tout le passé lui apparaît soudainement illuminé par ce mot magique : Il m’aimait ! Ses souvenirs l’éclairent ; mille choses, naguère confuses, tout à coup s’expliquent délicieusement : subites froideurs, prétendus caprices, tristesses cachées, jalousies contraintes, modestie touchante, sacrifices voilés, dévouements méconnus, tout se révèle ! Chacun de ses nobles sentiments déguisés par une fausse délicatesse vient de retrouver son beau nom. Léontine les reconnaît avec transport, et dans son enthousiasme elle sent son cœur se perdre en une émotion indicible ; assemblage des émotions les plus contraires, mélange de joie et de douleur, de remords et de tendresse, d’admiration et de pitié.

— Hector, dit-elle en fondant en larmes, pourquoi n’avez-vous pas eu confiance en moi ?

Hector ne répondit pas ; il n’osait croire à tant de bonheur.

— Mais depuis quand donc m’aimez-vous ainsi ?

— Depuis que je vous connais ; vous étiez mon premier et mon seul amour.

— Il m’aime depuis quatre ans, s’écria Léontine, et il ne m’a jamais rien dit !…

— Parce que je n’espérais rien.

— Et pourquoi ne pas espérer ?

— Je ne le devais pas, je ne le voulais pas.

— Hector, c’est bien mal d’avoir douté de moi.

— Non, reprit-il avec amour et en essayant de sourire ; je ne suis pas l’homme que je rêve pour vous. Je ne vous pardonnerais pas de m’aimer.

— Il faudra bien que vous me pardonniez !

Madame Albert, inquiète et pourtant joyeuse, pleurait.

— Vous êtes une mauvaise sœur, dit Léontine avec une affectueuse brusquerie ; vous avez été cruellement discrète ; c’était à vous de me dire : Hector vous aime, épousez-le ; mais