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peut-être, celles dont le cœur engourdi, blasé, ne se réveille que sous les coups ! mais moi !… »

Léontine, en ce seul instant, comprit tout ce qu’il y avait d’égoïsme et de sécheresse dans ce raffinement de coquetterie. Un homme qui l’avait ainsi livrée aux plus affreuses suppositions pour éviter de paraître un seul jour à son désavantage, un homme qui aimait mieux se faire passer pour mourant que de paraître un seul jour ridicule ou moins séduisant, était un homme jugé, car celui qui sacrifie tout au besoin de plaire ne sait pas aimer, et c’était deviner juste que de pressentir qu’il n’y avait pour une femme sincèrement passionnée que déception et chagrin dans l’avenir d’un si pauvre amour.

Léontine revint à Paris sous le poids de ces tristes impressions ; chaque pas qu’elle faisait, chaque personne qu’elle regardait lui rappelait le but de son voyage, la démarche qu’elle venait de faire, et l’objet de cette démarche ; plus sa conduite était extraordinaire, et plus la cause inconnue qui l’avait fait agir lui semblait misérable et désenchantante.

Ah ! comme son cœur se trouvait subitement guéri ! comme le séducteur était bien alors dépouillé de son prestige ! comme elle trouvait ses petites combinaisons mesquines, froides, et, ce qui était plus grave encore, pas du tout spirituelles !

En descendant la rue de Londres, Léontine se disait : « Là, tout à l’heure encore, je tremblais pour lui ; je le croyais en danger… mourant… Que j’étais folle ! »

Elle arriva chez elle, et, sans parler à personne, elle courut s’enfermer dans son appartement. Elle s’assit à la place qu’elle occupait la veille, et elle se dit encore : « C’est là qu’hier j’ai tant pleuré en pensant qu’il me trahissait ; c’est là que pour la première fois je me suis sentie jalouse !… Ah ! n’évoquons jamais ce souvenir. »

À l’aspect de ces lieux, de ces objets témoins de son inutile douleur, elle eut encore une crise d’indignation, puis elle prit une résolution calme, et tout fut dit.

Au bout d’une heure, elle sonna sa femme de chambre. Cette bonne fille, ordinairement vive, empressée, arriva lentement et d’un air triste ; elle avait les yeux rouges, elle pleurait.