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— Ah ! vous êtes cruelle, je le vois, vous allez vous venger de mon fils…

— Non pas, vraiment ; toute vengeance est une duperie, et je ne me vengerai pas.

Madame de Lusigny, se méprenant sur le sens de ces paroles, prit affectueusement la main de Léontine en disant :

— Croyez-moi, ma chère enfant, ce premier mouvement de colère passé, vous pardonnerez à mon fils de vous avoir causé de la peine, et vous l’en aimerez davantage ; vous savez tout ce qu’il est pour vous. Qu’importe la nature de l’épreuve, si elle nous révèle à nous-même toute la profondeur de nos sentiments ? Mon fils me l’a dit bien souvent : « Les femmes s’attachent par la douleur… » et peut-être ne vous a-t-il ainsi tourmentée, un peu trop, j’en conviens, que pour vous éprouver.

Après plusieurs phrases de politesse mutuelle, Léontine reprit le chemin de Paris, et madame de Lusigny rentra dans le salon, en se promettant d’aller le lendemain raconter à son fils la visite que lui avait faite madame de Viremont et le prévenir de se mettre en garde contre le juste ressentiment de cette jeune femme dont il avait si follement agité le cœur et l’esprit.

Léontine était révoltée ; tout ce qu’elle avait éprouvé naguère en inquiétude, elle l’éprouvait alors en indignation : « Quoi ! se disait-elle, c’est pour une cause si misérable que moi, depuis huit jours, je souffre toutes ces tortures ! c’est pour cette cause burlesque, pour cette coquetterie puérile, pour cette vanité niaise que moi j’ai connu les angoisses de l’amour trahi, les horreurs de la jalousie, que j’ai rêvé affreusement pour lui les mille craintes de la ruine, les mille terreurs de la mort !… Moi qui ai dévoré de si nobles chagrins, moi qui ai versé de si saintes larmes, j’ai pu me laisser entraîner à souffrir, à pleurer pour… rien !… C’est moi qui ai pleuré pour rien ! Et pendant huit mortels jours il a joui de mes tourments stupides, et il n’a pas eu pour moi un seul instant de pitié ! Et cette cruauté chez lui est un système de tendresse, une théorie de passion, une recette sentimentale ! À tous les cris, à toutes les larmes, il répond par cette maxime : Les femmes s’attachent par la douleur !… Les femmes du monde