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ce bonheur par le plus ennuyeux, le plus impatientant et le moins romanesque de tous les obstacles ; c’était affreux ! il y avait de quoi en perdre la tête.

— Mais enfin, ce motif ?…

— Il était absurde. Mais mon fils vous l’apprendra lui-même demain…

— Non, madame, je tiens à savoir cela aujourd’hui. Je vous prie, dites-le-moi, que lui était-il arrivé ?

— Une chose horrible et burlesque qui ne le rendait pas du tout intéressant et qui le rendait affreux.

— Mais enfin ?

— Non, je n’ose, c’est trop ridicule…

— Eh bien, je rirai !

— Sachez donc que le matin même du jour où il se réjouissait tant de vous voir, il s’était réveillé avec une abominable fluxion sur la joue, une fluxion désastreuse qui l’empêchait de parler, qui le défigurait, qui le métamorphosait en ange bouffi, qui lui faisait de petits yeux froncés à la chinoise et une petite bouche pincée à la Watteau, qui le changeait tellement enfin que moi, sa mère, je ne pouvais le reconnaître ni le plaindre, et que malgré ses fureurs et ses doléances, chaque fois qu’il me regardait, je lui riais au nez comme une folle. Vous ne sauriez imaginer… Mais qu’est-ce que je fais ? s’écria madame de Lusigny en s’interrompant tout à coup. Comme il va m’en vouloir de l’avoir trahi !

— Rassurez-vous, madame, reprit Léontine, je suis trop heureuse d’apprendre la vérité pour que vous puissiez vous reprocher de me l’avoir dite ; d’ailleurs n’oubliez pas que je suis moi-même venue la chercher.

Léontine s’efforça de sourire en prononçant ces mots d’adieu ; mais le tremblement de sa voix trahissait son agitation. Elle se leva et, faisant à madame de Lusigny un salut qu’elle tâcha de rendre gracieux, elle se dirigea vers la porte pour sortir.

— Vous me quittez déjà ! dit madame de Lusigny, un peu embarrassée de la froideur de Léontine ; vous êtes fâchée ; vous m’accusez…

— Vous ? non, madame, je suis persuadée que vous n’êtes pour rien dans l’inquiétude dont on s’amuse à me tourmenter.