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apprises, pour m’avoir enseigné à me priver toujours de ce qui me plairait tant ! »

Léontine, en lisant cette lettre, pouvait à l’instant savoir tout ce qui l’intéressait, et repartir aussitôt sans voir madame de Lusigny, sans se compromettre aux yeux de personne. Eh bien, elle ne voulut pas lire cette lettre, et elle eut le courage de rester là, seule, pendant une heure, oisive et curieuse, inquiète et ignorante… ignorante à côté du secret !

On entendit aller et venir dans la maison ; une petite chienne qui jouait dans le jardin s’élança vers la porte cochère, et une voix dit vivement :

— Lisette, Lisette, allez-vous-en, petite ! vous voyez bien que j’ai une belle robe et que je ne veux pas de vous.

Léontine reconnut la voix de madame de Lusigny, bien que très-modulée par la circonstance, car pour parler à son chien, la femme la plus véhémente sait choisir les plus doux accents. Ce peu de mots entendus par hasard expliquait tout ; une mère affligée, dont le fils aurait éprouvé un grand malheur, n’aurait pas tant de soin de sa parure ni tant de coquetterie pour son chien. Léontine sentit aussitôt l’édifice élevé par son imagination s’écrouler. Madame de Lusigny entra dans le salon, et rien qu’à sa vue Léontine comprit tout le ridicule de la situation que sa folle inquiétude lui avait faite. Madame de Lusigny s’avança magnifiquement parée, aussi pompeusement vêtue qu’on peut l’être dès le matin. Elle avait un superbe chapeau de paille de riz orné de plumes blanches ; une charmante robe de gros de Naples gris-perle, faite à la dernière mode, sur laquelle était négligemment jeté un riche mantelet de dentelle d’Angleterre ; puis elle portait des bracelets d’or, des épingles d’or, des chaînes d’or… elle était éblouissante ; en vérité, il n’y avait pas moyen de s’alarmer pour l’heureux fils d’une mère si galamment attifée.

— Vous ici, madame… ma chère ! s’écria madame de Lusigny en apercevant Léontine. Quelle aimable idée !… Vous venez de chez votre oncle ?

Léontine n’osa répondre. Madame de Lusigny continua :

— Que je suis donc fâchée de vous avoir fait attendre ! J’ai du malheur ; je ne sors jamais ordinairement ; mais aujour-