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IX.


C’était la première fois que Léontine se trouvait seule dans la rue ; il lui semblait que tous les yeux étaient fixés sur elle et que chaque passant disait : « Où va donc cette jeune femme qui paraît si agitée ? » On la regardait beaucoup, il est vrai : d’abord parce qu’elle était fort belle, ensuite parce que sa démarche incertaine trahissait le pas d’une femme qui n’a pas l’habitude de sortir à pied et que le mouvement de Paris déconcerte, enfin parce que son voile baissé et soigneusement retenu dans sa main lui donnait un air mystérieux fort suspect.

L’hôtel de Viremont est dans le faubourg Saint-Honoré ; Léontine rejoignit facilement la rue de Londres, et après avoir gravi cette montagne aride, elle arriva au débarcadère du chemin de fer. Le convoi allait partir pour Saint-Germain ; Léontine eut à peine le temps de prendre un billet ; on la plaça bien vite dans une diligence, et elle s’étonna d’avoir eu l’audace de traverser toute seule ce qu’elle appelait la foule des voyageurs ; et pourtant il n’y avait que deux cents personnes ce jour-là ; le dimanche il y en a quelquefois deux mille : deux mille compagnons de voyage, voilà une véritable foule !

Vous l’avez bien deviné, Léontine allait, à Saint-Germain, chez madame de Lusigny… Là seulement elle espérait apprendre le secret qui la tourmentait. Madame de Lusigny ne saurait feindre avec elle ; et si un malheur avait frappé son fils, quelle que fût sa résolution de se contraindre, sa douleur allait se trahir auprès de la personne qui devait le mieux la partager. La tristesse d’une mère est indiscrète. Mais peut-être madame de Lusigny était-elle à Paris. — N’importe, Léontine saurait du moins pour quel motif elle y est allée. Peut-être aussi M. de Lusigny est-il à Saint-Germain. — Eh bien, ne sait-il pas déjà qu’elle l’aime, et sa mère n’est-elle pas la confidente de ses projets ? L’inquiétude et la curiosité n’admettent point d’obstacles, cela se comprend ; elles ne les voient