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— Elle est repartie ce matin, continua le docteur, pour aller rejoindre son mari, toute fière, toute joyeuse ; et les homéopathes triomphent, et ils nous disent des injures pour nous convaincre de la supériorité de leur système.

Léontine sourit. Son cœur était soulagé d’un poids énorme.

— Ah ! vous triomphez aussi, madame… je sais que vous avez un faible pour les doctrines nouvelles ; admirez-les, soit, mais quand vous vous portez bien. Nous n’avons pas de prétentions aux miracles, nous autres ; nous guérissons, et voilà tout.

La joie que ressentit Léontine en reconnaissant que madame de X… l’avait trompée ne dura que peu de temps. D’autres soupçons vinrent bientôt l’agiter. Elle s’imagina que M. de Lusigny s’était battu en duel, qu’il était blessé, et que, pour se soustraire aux rigueurs de la nouvelle loi, il gardait sur cette affaire un secret profond. Cette idée lui vint au milieu de la nuit, après plusieurs jours d’une diète absolue, c’est-à-dire dans la meilleure disposition pour imaginer un coup de tête ; elle attendit le lever du jour avec impatience pour exécuter le projet qu’elle méditait. Le jour parut : avant de rien entreprendre, elle envoya chez M. de Lusigny demander de ses nouvelles ; on fit dire que M. de Lusigny était à la campagne depuis trois semaines. Cette réponse, que Léontine savait être un mensonge, la confirma dans ses soupçons. « Il se cache, il est blessé ; il faut qu’il soit très-mal, puisqu’il ne m’écrit pas. Peut-être a-t-il été obligé de quitter la France, pour n’être pas arrêté ; peut-être est-il parti mourant… Ah ! cette idée est affreuse ; je ne puis vivre dans cette incertitude ; ce supplice est trop long ; je ne veux pas le subir une heure de plus… aujourd’hui !… aujourd’hui même je saurai la vérité. »

Léontine mit à la hâte son chapeau, son mantelet ; et, pâle de crainte, ivre d’inquiétude, elle sortit de l’hôtel de Viremont sans donner d’ordre, sans dire à quelle heure elle rentrerait et sans demander des nouvelles d’Hector.