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rêver la vengeance ; mais l’autre, qui naît d’un excès de modestie et du dégoût de soi-même, n’a ni avenir ni espoir. Comment celui qu’elle torture pourrait-il encore espérer ? Qu’oserait-il rêver, le malheureux ? Il se croit indigne de ce qu’il désire !

« Voilà donc pourquoi il n’est pas venu !… pensait Léontine ; et pendant que je l’attendais avec tant d’émotion, il était auprès d’une autre femme, riant peut-être avec elle de l’inquiétude qu’il me causait ; et il m’a sacrifiée, gaiement sacrifiée, à une ancienne intrigue !… Il faut que cette femme ait sur lui bien de l’empire pour le contraindre à renoncer à un mariage qu’il paraissait vouloir si vivement. Elle aura sans doute appris ses projets par quelque charitable correspondance, et c’est pour empêcher un mariage qu’elle est accourue à Paris ; et lui… il tremble devant elle… il n’ose plus venir chez moi ; il craint un esclandre. Cette femme s’amuse à le menacer de mille folies ; elle joue la passion pour le captiver… Et il la console, il la rassure en disant qu’il ne m’aime pas ! »

Oh ! comme alors elle se repentait de lui avoir écrit, comme elle se reprochait d’être tombée dans le piège et d’avoir si candidement avoué toutes les inquiétudes, toutes les faiblesses de son cœur. Elle se rappelait une à une les phrases de sa lettre, ces détours de générosité qui lui semblent si ridicules maintenant. Elle maudissait la noblesse incorrigible de son caractère qui l’entraînait toujours à être dupe ; et puis elle pleurait amèrement ; rougir de ses pensées les plus nobles, c’est si triste ; être toujours puni de ses sacrifices les plus purs, c’est si révoltant !

À force de se tourmenter, de s’indigner, de se désoler, Léontine se rendit malade ; elle fut forcée de rester au lit pendant trois jours. Sa belle-sœur, inquiète, voulut absolument lui amener le médecin qui soignait Hector. Mais avant de le conduire chez Léontine, madame Albert recommanda bien au médecin de ne pas l’effrayer en lui parlant de l’état où se trouvait Hector. Madame Albert espérait chaque jour que son frère serait moins souffrant le lendemain, et qu’il reprendrait un peu de courage en s’accoutumant à son chagrin. Pour lui donner de l’espoir, elle répétait sans cesse que M. de Lusigny