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alors le plus vif désir de la voir ! Elle arriva précisément, mais cette visite n’était point l’effet du hasard. Madame de X… savait que M. de Lusigny était très-occupé de Léontine, elle savait aussi qu’avant de la connaître, l’hiver dernier, il avait rendu des soins empressés à une autre jeune femme qui passait pour l’avoir assez bien traité ; et madame de X…, dans son zèle toujours charitable, accourait apprendre à Léontine que cette jeune femme, sa rivale, absente depuis deux mois, venait d’arriver à Paris.

— Elle n’a pas pu y tenir, ajoutait-elle, elle a laissé dans son vieux château son vieux mari, et, sous prétexte de consulter toute la Faculté pour un enfant malade, elle est venue ici ; mais vous pensez bien que la maladie de l’enfant va traîner en longueur ; on ne lui permettra pas de guérir avant l’automne.

À cette nouvelle, qui expliquait tout, Léontine devint pâle comme une statue. Elle voulut parler pour cacher son trouble, mais elle n’avait plus de voix. Madame de X… la regardait avec une joie infernale. Léontine, que cette joie révoltait, essaya encore de se vaincre et de repousser, au moins avec dignité, le coup qu’on lui portait avec tant d’audace ; mais elle pensa que le seul moyen d’apaiser ces sortes de vampires, c’est de leur laisser complaisamment boire tout le sang de sa blessure ; et elle se résigna, dédaignant toute hypocrisie, à souffrir devant son ennemi loyalement et bravement.

Madame de X… ayant dit ce qu’elle avait à dire, s’en alla semer ailleurs d’autres nouvelles agréables autant que celle-là.

Léontine, passionnément aimée de son mari, n’avait jamais été jalouse. Pour la première fois, elle éprouvait cette affreuse rage de cœur, ces convulsions d’amour-propre, cette épilepsie morale dont les accès ont l’avantage de durer des jours entiers, cette démence pleine de raison qu’on appelle la jalousie. Elle souffrait horriblement ; elle ressentait à la fois toutes les amertumes de la haine et tous les chagrins de l’amour, et cependant sa douleur n’était rien auprès de la douleur d’Hector. La jalousie de l’orgueil, cette révolte superbe d’un être doué qui se croit méconnu, est moins cruelle, moins poignante que la jalousie de l’humilité… L’une est pleine d’avenir ; elle peut