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Madame de Viremont décacheta la lettre promptement et sans la regarder… On demande une réponse… c’est de lui !

« Madame la comtesse,

« Un bon cœur est l’apanage des grâces et de la beauté. Prenez pitié d’un ancien artiste dramatique, poursuivi par le sort, et que de nombreuses infirmités ont forcé de quitter trop tôt la carrière du théâtre ; je serais allé moi-même implorer votre bonté, mais… »

Léontine n’acheva pas de lire cette étrange complainte, elle prit l’argent qui était dans sa bourse etle le donna en disant :

— Voilà la réponse, c’est pour une quête.

Au même instant, sa belle-sœur entra, tenant un billet à la main ; elle le remit à Léontine :

— J’ai manqué de le décacheter, dit-elle ; cet étourdi de François me l’a apporté croyant qu’il était pour moi. Cependant votre nom est écrit bien lisiblement sur l’adresse : la comtesse Charles… on ne peut s’y tromper.

Enfin !… c’était une lettre de M. de Lusigny !… Mais quelle lettre ! tout ce qu’il y a de plus commun, de plus rebattu ; c’étaient des phrases telles que celles-ci : « Un malheur arrivé à une personne de ma famille m’oblige de quitter Paris à l’instant même ; je crains d’être absent plus longtemps que je ne le voudrais (Il voulait donc un peu être absent !) ; mais aussitôt mon retour, j’irai vous porter tous mes regrets. Croyez, madame, qu’il m’est bien pénible de partir aujourd’hui, et plaignez-moi… »

Cette lettre était datée de mercredi soir.

Rien n’y manquait : le Je crains de, le Croyez que, et l’inévitable Plaignez-moi, l’éternel refrain de tous les absents coupables, qui sacrifient le bonheur de voir la femme qu’ils adorent à une partie de chasse, à un dîner de viveurs, ou à tout autre plaisir. N’est-ce pas cela qu’ils écrivent tous naïvement : « J’avais oublié de vous dire que c’est aujourd’hui notre ennuyeux dîner de bavards ; je ne vous verrai donc pas ce soir. Plaignez-moi… » À cette menteuse élégie, nous proposons de substituer cet avis bienveillant et loyal : « Je n’irai