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l’escalier de l’Opéra, il s’était trouvé auprès de deux jeunes gens qui causaient ensemble assez haut :

— Tu sais, disait l’un, que l’inconsolable veuve se remarie.

— Laquelle ?

— Madame Charles de Viremont.

— Bah ! vraiment… Avec qui donc ?

— Avec le beau Lusigny.

— Je n’en savais rien.

— Depuis trois mois ils s’aiment en secret ; c’est tout un roman…

Hector n’en entendit pas davantage ; un frisson mortel le saisit, sa vue se troubla, son cœur battit violemment, il essaya de descendre l’escalier, mais vers les dernières marches ses forces l’abandonnèrent et il tomba sans connaissance.

Quand il revint à lui, sa première pensée fut la crainte qu’on ne devinât la cause de ce subit évanouissement, qui l’étonnait lui-même ; il ne s’expliquait pas comment lui qui avait tant de courage, lui que les plus dures fatigues, les plus grandes privations, les plus réels dangers n’avaient jamais ébranlé, se voyait tout à coup vaincu par un mot. Il ne comprenait pas que l’on pût être physiquement terrassé par une idée. Sa sœur était près de lui ; elle le regardait avec tristesse, mais elle n’osait l’interroger devant son mari. M. de Viremont, malgré son bon cœur, éprouvait une sorte de plaisir à voir Hector en cet état ; les gourmands malingres sont implacables pour les gens qui se portent bien et qui peuvent manger de tout.

— Mon cher Hector, dit-il, qu’avez-vous mangé à dîner ?

— Je n’en sais rien.

— Je le sais, moi, vous avez mangé du homard…

Hector sourit ; il allait répondre non ; mais comme cette cause peu romanesque pouvait servir à cacher le véritable secret de sa souffrance, il se hâta de dire :

— Oui… c’est cela sans doute qui m’a fait mal ; j’aurais mieux fait d’être raisonnable comme vous.

M. de Viremont, rassuré, se sentit récompensé de son sacrifice.

Madame Albert passa la nuit près de son frère, dont la dou-