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l’heure qu’elle préférait. Elle attendait, non plus avec plaisir, mais avec angoisses ; la fièvre de l’attente était arrivée à son redoublement. Léontine en était déjà à l’horrible phase des conjectures… Elle ne disait déjà plus :

— Il viendra tard !

Elle disait :

— Pourquoi ne vient-il pas ?

Et puis elle cherchait mille raisons, de ces raisons toutes folles, mais qui semblent toutes probables, et qui font chacune à leur tour que l’on s’écrie : C’est cela !

Le supplice fut long : Léontine ne mit aucune philosophie à le supporter ; l’heure passait rapide et cruelle, et le silence était profond, et nul pas ne venait en interrompre la tristesse. Onze heures !… les voilà qui sonnent… Il est trop tard ! elle n’ose même plus désirer qu’il vienne. Mais qui le retient ? N’a-t-il pas bien compris qu’elle a dérangé tous ses projets pour le voir ? Comment peut-il manquer à un rendez-vous qu’il a sollicité lui-même avec instance ? Comment justifier un tel oubli ? est-ce un jeu ? est-ce une gageure ? Ah ! ce n’est point madame de Viremont que l’on peut traiter avec négligence ou légèreté ! Serait-ce quelque subite jalousie ?… ou bien lui-même serait-il poursuivi par les soupçons d’une autre femme ? Si cela est, pourquoi se faire attendre inutilement, pourquoi ne pas écrire un mot ? Un homme si bien élevé ne peut, sous aucun prétexte, manquer ainsi à toutes les lois du savoir-vivre ; il faut qu’il lui soit arrivé quelque événement extraordinaire ; un malheur peut-être… mais alors, quel est ce malheur ?

Tout à coup cette pensée lui tomba dans l’esprit : « Il est venu, on lui a dit que j’étais sortie ! » Elle sonna, mais le valet de chambre interrogé répondit qu’il n’était venu personne… « D’ailleurs, ajouta-t-il, on sait bien à la porte que madame la comtesse reçoit. » Ces mots, adressés à une femme qui était seule et qui n’avait pas vu un chat de toute la soirée, étaient une amère ironie. Bientôt M. et madame de Viremont revinrent de l’Opéra, tout espoir était donc perdu. Léontine était si préoccupée qu’elle ne remarqua pas le temps infini que son beau-frère et sa belle-sœur mirent à monter l’escalier avant