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— J’ai donné ma place à Emma, dit-elle ; cette chère enfant mourait d’envie de voir mademoiselle Taglioni…

Madame Albert ne fit aucune observation.

— Quoi ! vous allez rester seule ! s’écria Hector ; je veux…

— Non, interrompit aussitôt Léontine, j’ai des lettres à écrire. Vous viendrez me donner des nouvelles de l’Opéra.

Hector n’osa pas insister, mais il vit que Léontine était fort troublée, et ce trouble, qu’il ne pouvait comprendre, l’inquiéta. On partit pour le spectacle, et Léontine rentra dans son appartement.

Léontine ne se dissimulait point que refuser d’accompagner sa belle-sœur à l’Opéra pour recevoir chez elle plus librement M. de Lusigny, c’était faire un coup d’État ; mais elle pensait que l’avenir expliquerait sa conduite. En effet, cet entretien devait décider de son sort. Elle ne se demandait pas ce que M. de Lusigny pouvait avoir à lui confier ; elle devinait seulement que cette confidence était un prétexte pour dire : « Nos intérêts sont communs ; désormais je ne veux plus agir sans vos avis. » Et elle s’avouait que c’était tout promettre que de consentir à l’écouter. Mais plus cet entretien avait d’importance et plus elle en voyait arriver l’heure avec émotion. Elle éprouvait cette fièvre de l’attente dont l’agitation est si difficile à réprimer. Une femme peut cacher qu’elle souffre, qu’elle s’ennuie, qu’elle aime… mais elle ne peut cacher qu’elle attend. Elle ne peut empêcher ses regards de se jeter sur la pendule à tout moment, elle ne peut empêcher sa tête de se lever au moindre bruit, elle ne peut s’empêcher de pâlir et de rougir chaque fois que la porte s’ouvre ; et puis quand l’heure est passée, quand ses regards éteints se découragent, quand son front incliné se voile d’ennui, il est encore un effort pour elle impossible : c’est de cacher qu’elle n’attend plus.

Léontine employa la première heure de l’attente à faire ce que nous appellerons le ménage du salon : à ranger les livres, les keepsakes, les albums, ornements de la grande table ; à visiter ses élégantes jardinières, à relever les fleurs penchées, à mettre en lumière les plus belles ; à faire remplacer par un bon feu la riche corbeille qui fermait la cheminée, ce qui était une sanglante épigramme contre la saison, mais les affreux